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Dans le système de ce suffrage, il est impossible que les candidats puissent se faire connaître individuellement de chaque électeur, aillent solliciter les voix à domicile, fassent en un mot ce travail préliminaire personnel que les Anglais appellent cancans. Avec le suffrage universel, les rapports de candidats à électeurs ne peuvent guère s’établir d’une façon efficace que par l’exercice du droit de réunion. Dans le débat des candidatures en réunions publiques, l’action des comités pourrait puiser une autorité naturelle. Les comités formeraient alors sous le contrôle de la discussion une sorte d’intermédiaire régulier, un second degré normal entre les candidats et la masse des électeurs. Le droit de réunion faisant défaut, ce ressort manque chez nous au mécanisme du suffrage universel. La nécessité de suppléer à cette lacune d’une façon quelconque peut seule autoriser une réunion de députés et de journalistes à s’ériger elle-même en comité supérieur et à décréter en quelque sorte une liste d’opposition, comme cela est arrivé aux dernières élections de Paris. Cette nécessité, qui n’apparaît que lorsque l’opposition a en face d’elle des candidats officiels, n’existait pas aujourd’hui. On a donc vu se produire, dans les deux circonscriptions parisiennes qui ont des députés à élire, un grand nombre de candidatures spontanées. La nomination ne pouvant avoir lieu au premier tour que lorsqu’un nom rallie la majorité absolue, si les voix se partagent entre plusieurs candidats, le premier tour de scrutin n’est en quelque sorte qu’une épreuve préparatoire, et il faudra recourir à un second tour. La multiplicité des candidatures spontanées donne une animation d’un caractère nouveau aux élections qui vont avoir lieu. Une candidature ouvrière y a pris place : nous n’avons, quant à nous, aucun préjugé à l’endroit des aspirations qui peuvent entraîner les ouvriers aux honneurs et aux responsabilités de la députation. À propos des candidatures ouvrières et d’autres même, il a été publié des circulaires semées d’expressions qui rappelaient nos anciennes guerres de partis, et qui ont fait dresser l’oreille à quelques-uns. Pour nous, nous ne sommes ni émus ni surpris de ces résurrections du vieux vocabulaire politique ; nous avions toujours prévu que lorsque la vie politique renaîtrait en France, il était impossible que l’on ne vît reparaître quelques-unes des locutions qui étaient en vigueur au moment où a commencé la léthargie de la liberté. C’est l’histoire des paroles gelées, c’est aussi l’histoire du cortège de la Belle au bois dormant se réveillant vêtu à l’antique mode. Cette friperie pourrait faire sourire, elle ne peut pas faire peur : elle ne peut être désormais de plus d’usage dans la vie réelle que les déguisemens historiques qui ont servi aux bals costumés du dernier carnaval. Soyons indulgens d’ailleurs, à la pensée que presque tous nous avons été du cortège de la Belle au bois dormant, et que presque tous nous portons dans notre accoutrement de prodigieux anachronismes. La petite mêlée de noms propres et de mots vieillots qui s’est formée autour des élections parisiennes du moment nous paraît au contraire devoir produire un effet utile : elle excite l’émulation politique. Nous y assistons, pour