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ment que l’histoire de la lutte apporte avec elle n’a pas suffi pour éclairer toutes les intelligences au sujet des véritables raisons de la crise. Au risque d’être confondus avec la foule des personnes qui se laissent aveugler volontairement par leurs préjugés ou leurs passions, quelques hommes vraiment sincères se demandent encore si la révolte des planteurs esclavagistes n’est pas l’explosion d’une nationalité nouvelle formée peu à peu dans les états du sud sous l’Influence de causes multiples, telles que le climat, le genre de vie, la prédominance du travail agricole, l’inégalité du tarif douanier. Négligeant la servitude absolue de quatre millions d’hommes, ils donnent en revanche une importance capitale à une misérable question de droits d’entrée. À ceux qui partagent encore ces illusions, nous recommandons la lecture de l’ouvrage de M. Sargent. Les connaissances profondes de l’auteur et l’étude comparative des sociétés du nord et du sud, qu’il a pu faire dans une ville libre située sur la frontière des états à esclaves, autorisaient M. Sargent à traiter après tant d’autres les questions soulevées par la crise actuelle. Il l’a fait avec une extrême conscience, une modération parfaite ; ses lecteurs pourront lui rendre le témoignage que la chaleur de ses convictions ne nuit en aucune manière à l’équité de son jugement. Il n’a rien de ce patriotisme de mauvais aloi qui consiste à pallier les fautes de ses concitoyens ; il se contente de chercher la vérité, et nous croyons qu’il l’a trouvée.

Armé de citations nombreuses tirées pour la plupart des ouvrages et des discours des principaux hommes politiques du sud, M. Sargent démontre que l’esclavage est bien la raison primordiale des incessantes dissensions qui ont rempli l’histoire de la république américaine pendant les quarante dernières années, et qui ont abouti à la formidable rébellion des états du sud ; il prouve que l’insurrection des planteurs, accomplie contrairement au texte formel et à l’esprit de la constitution, n’avait pas simplement pour but de leur assurer l’indépendance politique, mais qu’elle avait surtout une portée sociale. Les grands propriétaires du sud voulaient s’assurer une domination incontestée sur les noirs et sur les pauvres citoyens blancs, étendre à leur gré « l’institution particulière, » et promulguer à la face du monde ce nouveau principe, que dans toute société la servitude des faibles est une garantie nécessaire de la liberté des forts. Pendant la première ferveur patriotique qui avait suivi la guerre de l’indépendance, les planteurs du sud avaient reconnu avec tous les autres citoyens que le fait monstrueux de l’esclavage devait être aboli ; ils n’avaient pas même osé, en dépit de leurs codes noirs, appuyer la servitude des nègres sur une seule loi positive : pas une seule de leurs constitutions d’état ne reconnaissait d’une manière formelle la légalité de l’esclavage ; mais, lorsque l’enthousiasme révolutionnaire se fut calmé, les intérêts grossiers reprirent graduellement le dessus, la triste condition des noirs ne fut plus aux yeux des planteurs qu’un mal nécessaire, puis elle fut considérée comme un bien