Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/548

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temple chrétien. À ce moment, le père Joseph levait la main pour bénir les fidèles agenouillés; sa voix défaillante se faisait à peine entendre au milieu du silence, il tenait les yeux levés vers le ciel. Quand il les abaissa sur la foule, un cri s’échappa de sa poitrine : — Pas d’idolâtre ici!...

Dévadatta haletant, le front couvert de sueur, inclina sa tête, et d’une voix émue : — Padre s’écria-t-il, et vous tous, frères, écoutez-moi ! L’ennemi arrive, vous êtes perdus !

En un instant, l’église fut vide : Déodat, c’est Déodat, répétait-on de tous côtés, et les chrétiens se pressaient autour du père Joseph, qui s’entretenait avec son ancien disciple. La vieille Monique était là, debout, transie de crainte, serrant dans ses bras la petite Nanny, qui fixait ses yeux troublés sur Dévadatta.

— Nous n’avons pas tué la vache dont tu parles, dit tout à coup un laboureur; arrivée sur le territoire de notre village, elle s’est embarrassée dans un buisson, et cette nuit les chacals l’ont attaquée, voilà la vérité...

— Le temps presse, mes enfans, interrompit le père Joseph; nous ne ferons pas entendre raison à ces païens... Que chacun de vous s’enfuie dans la campagne en emportant ce qu’il a de plus précieux.

Padre, dit Dévadatta, vous êtes accablé par l’âge, comment pourrez-vous fuir?

— Moi, répondit le vieillard, je resterai; que mon troupeau échappe à la mort, et je mourrai tranquille...

Tandis que les gens de Tirivelly se dispersaient au loin, ceux de Combaconam commençaient à paraître; un nuage de poussière enveloppait la troupe ennemie, conduite par les brahmanes. Quand l’église du village chrétien se montra à leurs regards, ceux-ci éclatèrent en invectives.

— Voilà leur prêtre, s’écrièrent-ils en montrant du doigt le père Joseph, voilà celui qui a fait tout le mal! Tiens-le bien, Dévadatta! Mort à celui qui a tué la vache...

— Mais toi, demanda le père Joseph à son ancien disciple, que fais-tu à mes côtés? Ne vois-tu pas qu’ils vont tourner contre moi toute leur fureur? Retire-toi...

— Ote-toi de là, Dévadatta, s’écrièrent à leur tour les brahmanes; les pierres lancées par ceux qui nous suivent vont pleuvoir sur toi.

— Qu’ils frappent, répondit Dévadatta en couvrant de son corps le vieux prêtre, et vous-mêmes, frappez aussi; je ne bougerai pas de cette place. En vérité, je vous dis que les chrétiens n’ont pas commis la faute que vous leur reprochez, la vache a été dévorée par les bêtes sauvages.