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« Après un an environ de solitude dans les bois, je vis venir un jour treize brigands (masnadieri) plus ou moins armés, qui se présentèrent à moi comme défenseurs de François II et de la sainte église catholique romaine. Désireux de former une compagnie pour l’exacte défense de ces droits à laquelle j’étais tout disposé depuis longtemps, comme il est connu de tout le monde, j’accueillis ces hommes, et je me mis sur-le-champ, de tout mon zèle, à m’occuper de tout ce qui me convenait, si bien que ceux-ci m’acceptèrent pour leur chef. Ils devaient rester sous mon obéissance dans tous les commandemens émanés de moi pour le bien de notre roi et de leur propre vie; mais comme en ces gens (je traduis mot à mot) existait le seul sentiment de voler, et non, conformément au mien, celui de se faire honneur, ils commencèrent à s’agiter contre moi, se permettant de dire entre eux : « Nous sommes entrés en campagne, nous sommes appelés voleurs et nous devons voler, et si notre chef ne fait pas comme nous disons, il finira mal ou il restera seul. » — Une pareille conspiration se tramait contre moi sans que j’en fusse informé. Ils se permettaient aussi de commettre des vols à mon insu, quand j’ordonnais de marcher régulièrement et militairement, avec éducation; mais voici que Dieu, n’ayant jamais permis la fausseté, a démontré soudain que celui qui croyait tromper est trompé lui-même. — Et comme ceux-là me trompaient et me trahissaient, moi qui cherchais à me faire honneur, ainsi, par un traître encore plus mauvais qu’eux, ils ont été trahis amèrement et défaits à mon grand déplaisir, et presque tous ont péri de mort atroce... Et cependant Dieu, toujours loué, permit que, resté seul dans le plus affreux et cruel combat, je fusse sauvé par sa protection, etc. »


Si le sergent de Gioia n’était qu’un fanatique, que dire de ses compagnons? Lâches presque tous et fuyant à l’approche des troupes, ces hommes ne se jetaient sur elles, comme il arriva cinq ou six fois en trois années de campagne, que lorsqu’ils étaient pour le moins dix contre un. Ils n’ont ni stratégie, ni discipline, se battent à l’aventure, à la débandade, se réunissent pour un mauvais coup, et, le coup fait, se disséminent par les campagnes, où ils s’évanouissent en un clin d’œil. Leur habileté suprême est dans la dispersion; leur triomphe, c’est la déroute. Les troupes leur donnent la chasse et combinent contre eux leurs mouvemens; des détachemens partent de tous les points et marchent les uns vers les autres ; la bande doit être cernée, le cercle se resserre de moment en moment; on crie déjà : Victoire! Tous les détachemens se rejoignent; ils n’ont pas rencontré un seul brigand, la bande entière a disparu. De pareils mécomptes se répètent tous les jours. La seule comitive vraiment courageuse et aguerrie était celle de Caruso et de Schiavone, maintenant détruite : ces deux chefs, tantôt réunis, tantôt séparés, avaient passé plusieurs fois de Bénévent en Capitanate et de Capitanate en Bénévent à travers les troupes qui les enveloppaient. Ils se battaient comme des vétérans, mais frappaient en aveugles.