Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/602

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

geamment de ne lui avoir point fait visite. On voulut qu’il fût témoin des merveilles de l’éducation du prince royal de Danemark[1]. Struensée le mena sans façon au travers de la cour du palais, sous la pluie, dans l’appartement du petit Fritz... En un mot, ajoute Reverdil, Struensée était chez lui, et le gouvernement de l’état était un accessoire de sa position. » Ce spectacle avait inspiré au prince de Suède un réel dégoût. Cette cour prostituée, qui n’avait rien conservé ni du luxe ni de la dignité royale, ce roi faible d’esprit et ne rachetant sa honte par aucun retour de volonté virile, cette reine alors déjà soupçonnée, sinon coupable, ce parvenu qui régnait en maître, qui traitait avec lui sur un pied d’égalité et lui faisait avec une insolente aisance les honneurs du palais des rois de Danemark, tout cela avait profondément blessé Gustave. Le cabinet de Copenhague lui était déjà suspect pour ses anciennes liaisons avec les ennemis de la Suède; il souffrit plus que jamais d’être allié par le sang à une telle cour, et, devenu roi, il ne dissimula pas les expressions de son mépris. Et pourtant la politique de Struensée s’était éloignée de la Russie pour se rapprocher de l’alliance française et suédoise. Ce fut donc pour Gustave III, quand il apprit qu’une révolution de cour avait renversé en Danemark ce qu’une faveur de cour y avait fait naître, à la fois un soulagement et un nouveau péril, et dans tous les cas un avertissement, une excitation puissante. Il avait suffi, pour mettre un terme à une domination honteuse, de l’énergie d’une femme, de cette reine qui, avec quelques serviteurs seulement, à la suite d’un bal, avait fait arrêter Struensée et quelques complices. Des supplices barbares avaient suivi cette révolution de palais (17 janvier — 28 avril 1772); Gustave se flattait de n’avoir pas besoin de sévir de la sorte, et son caractère assurément y répugnait, mais il se promettait bien d’avoir au moins autant d’énergie qu’on en avait eu à Copenhague, et le spectacle d’un si prompt changement acquis par un seul coup de vigueur lui inspirait, en vue d’une cause meilleure et plus haute, un ferme espoir. D’ailleurs le nouveau gouvernement du Danemark allait reprendre sans aucun doute ses anciennes traditions d’alliance étroite avec la Russie et la Prusse, et c’était à Gustave d’empêcher un nouveau rapprochement entre ses ennemis.

Un autre incident politique, le premier partage de la Pologne, irrévocablement décidé par le traité signé à Pétersbourg le 25 juillet (5 août) 1772, fut pour lui l’avertissement suprême. Avant même que la Prusse et la Russie eussent préparé par des négociations secrètes le démembrement de la Suède comme celui de la Pologne, la communauté de péril pour ces deux pays était évidente; elle n’a-

  1. plus tard Frédéric VI; il avait alors trois ans.