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vait pas échappé à Gustave : dès sa jeunesse, il avait suivi avec une grave attention les douloureuses péripéties de l’anarchie polonaise. On fit déjà dans son journal de 1768 :


« 18 avril. — les nouvelles arrivées de Pologne parlent d’une grande confédération à Kaminieç. On a tenu à Varsovie deux conseils, et le résultat des délibérations a été que le roi et le sénat de la république invoqueraient la protection de l’impératrice de Russie. C’est une infamie !... Ah ! Stanislas-Auguste, tu n’es ni roi ni même citoyen! Meurs pour sauver l’indépendance de ta patrie, et n’accepte pas un joug indigne dans le vain espoir de conserver une ombre de puissance qu’un ordre venu de Moscou suffira pour faire évanouir! »

« 7 novembre. — Nouvelles de Pologne toujours pareilles : anarchie et corruption! Voilà notre sort à nous-mêmes, si des mesures vigoureuses ne viennent bientôt nous secourir ! »


Gustave n’était pas le seul à comparer les destinées des deux pays; un journal très répandu à Stockholm s’écriait au commencement de 1772 ;


« Il est temps de regarder à notre lendemain. Nous sommes menacés du même sort que les Polonais, mais nous pouvons aussi retrouver un Gustave-Adolphe. Qui a fait le malheur de la Pologne? L’instabilité des lois, l’abaissement continu du pouvoir royal, et par suite l’intervention inévitable de puissans voisins dans les affaires intérieures. La Suède est à l’abri de telles destinées tant que nous n’aurons pas renié notre roi et notre patrie : nous avons une antique patrie à défendre et un grand roi à sauver. Concitoyens! si la mémoire de Gustave-Adolphe est encore présente dans vos cœurs, tournez-vous vers son tombeau. De sa cendre, que recouvrent les trophées de la guerre civile et ceux de la guerre étrangère, sort une voix qui crie à chacun de vous que l’heure est enfin venue ! »


Dès le 21 mai de cette année, M. de Vergennes reçut la confidence d’une partie du plan qui fut exécuté trois mois après, dans la fameuse journée du 19 août 1772 :


« Gustave III m’a fait ces jours-ci, écrit-il à cette date, la révélation d’un projet véritablement hardi. Quoique j’aie promis à ce prince le plus profond secret, mon devoir me prescrit, monsieur le duc, de vous le dévoiler. — La forteresse de Sveaborg, en Finlande, vis-à-vis d’Helsingfors, située au milieu de la mer, est l’arsenal destiné à la défense maritime de cette province. Elle est gardée par une garnison de 1,500 hommes, tous étrangers. Les officiers et les soldats, que la parcimonie de la diète menace d’une réforme, sont mécontens et disposés à toute entreprise. Il s’agit de les soulever, et, à la faveur des bâtimens dont ils disposent, de les faire arriver en vue de Stockholm avant qu’on puisse y avoir avis du soulèvement; la chose est possible pour peu que les vents d’est, ordinaires dans cette saison, soient favorables. On profitera de la surprise pour s’assurer des personnages les plus suspects dans l’assemblée des états, puis on proposera