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je n’ai sur ce point aucune crainte. Je vous prie encore une fois de vous épargner et de ne point exposer vos jours, qui en ce moment sont si intimement liés au bien de l’état. Si vous rencontrez de la résistance, il vaut mieux abandonner l’entreprise que d’exposer votre sort au hasard. J’espère que vous anéantirez en ce cas le papier que je vous ai remis, comme aussi dans le cas où vous auriez cessé d’en faire usage. »


Sprengtporten et Hellichius une fois partis de Stockholm avec les ordres relatifs aux révoltes de Scanie et de Finlande, tout était dit : il fallait que la destinée de Gustave s’accomplît et qu’il ne se manquât pas à lui-même. L’ambassadeur russe, comte Ostermann, étant venu le saluer, il l’entretint avec bonhomie d’un projet de voyage; il lui annonça qu’il allait immédiatement demander au sénat l’autorisation de s’absenter quelques semaines, et dépista de la sorte ses premiers soupçons.

Sauf l’entreprise de Finlande, qui fut retardée et se trouva inutile, le plan adopté par Gustave III réussit de tous points. Le capitaine Hellichius n’eut pas de peine, dans une province fort mal disposée d’avance, à souffler la révolte : la garnison de Christianstadt se déclara le 12 août; son chef publia un manifeste refusant fidélité aux soi-disant états du royaume, coupables envers le pays, qu’ils avaient ruiné, et envers le roi, dont ils avaient usurpé les droits légitimes. « Braves Suédois, disait-il en s’adressant aux habitans de la ville et des campagnes voisines, le sort en est jeté. Aussi longtemps que le roi et la patrie n’auront pas recouvré ce qui leur appartient, chacun de nous fait serment de mourir plutôt que de déposer les armes. Venez à nous, croyez à notre loyauté, et faisons cause commune! » Hellichius avait pris soin d’expédier aussitôt un messager vers le prince Charles, qui, sans expliquer autour de lui ses intentions, avait réuni promptement sous ses ordres jusqu’à cinq régimens, qui stationnaient dans la province. Cependant le baron Rudbeck, envoyé par les états pour s’assurer si rien ne se tramait en Scanie, avait voulu visiter en passant la forteresse de Christianstadt. Quel ne fut pas son étonnement en se voyant refuser l’entrée de la place et en lisant le manifeste d’Hellichius! Il reprit en toute hâte le chemin de Stockholm, où il rentra dans la soirée du 16. L’extrême péril commençait pour Gustave III ; le sénat et les états n’avaient aucune preuve de sa complicité, et néanmoins plusieurs voix s’élevaient déjà pour demander qu’on s’assurât de sa personne. Le baron Rudbeck alla dès le 17 au matin lui apprendre lui-même ce qui était arrivé. Le roi témoigna d’une telle indignation, l’embrassa et lui serra les mains avec tant d’effusion, et le remercia si bien d’avoir sauvé le pays en apportant le premier une telle nouvelle, que le vieux général se retira très convaincu de la parfaite innocence de Gustave. Le soir même, au souper de la cour, le duc