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nius, son voisin, fit transporter des arbres de la villa de Cicéron dans sa propre villa.

Cicéron en Grèce, Caton dans l’île de Chypre et César en Gaule, Pompée était resté seul à Rome ; mais il s’y trouva plus embarrassé que jamais. Clodius, à qui lâchement il avait livré Cicéron, ayant obtenu de sa faiblesse ce qu’il voulait, se tourna contre lui. Pompée fut assiégé dans sa propre demeure. Clodius la fit entourer par une troupe de bandits, à la tête desquels était un de ses affranchis, et que le préteur Flavius tenta en vain de repousser. Clodius menaça Pompée de jeter par terre sa maison des Carines, comme il avait fait abattre celle de Cicéron sur le Palatin. C’était un grand niveleur que ce Clodius. Gagné par Tigrane, roi d’Arménie, que Pompée gardait dans son Albanum, Clodius alla l’enlever. Le sénateur chargé de la garde du roi captif voulut le reprendre : il s’ensuivit une bataille sur la voie Appienne, au quatrième mille, et un ami de Pompée, Papirius, périt dans la mêlée. On arrêta un esclave de Clodius armé d’un poignard qui confessa avoir eu le dessein de tuer Pompée dans le temple de Castor, au milieu du sénat. Clodius s’empara de ce temple, en détruisit l’escalier, y transporta des armes et en fit une forteresse de l’émeute. Devant le tribunal, siège de la justice, il enrôlait publiquement des hommes perdus. Il attaqua le consul Gabinius lui-même et brisa ses faisceaux. Pompée, soit qu’il redoutât les violences de Clodius, soit plutôt qu’il voulût paraître les craindre, ne sortait plus, restait enfermé dans ses jardins d’en haut, et s’y entourait d’une garde nombreuse.

Cicéron a fait de la situation de Rome, avant son départ et pour le justifier, une peinture oratoire sans doute, mais où il n’y a pas beaucoup d’exagération, et que l’on peut tenir pour vraie dans les principaux traits. « Dans une ville où le sénat était sans pouvoir, où tout était impuni, où on ne rendait plus la justice, où le Forum était livré à la violence et au glaive, où les particuliers étaient protégés par les murs de leur maison, non par le secours des lois, où les tribuns du peuple étaient blessés sous vos yeux, quand on marchait contre la demeure des magistrats le fer et le feu à la main, quand les faisceaux des consuls étaient brisés et qu’on incendiait les temples des dieux immortels, j’ai pensé que l’état n’existait plus. » Cicéron, pendant son exil encore plus que lorsqu’il séjournait dans ses villas, est tout entier à Rome. « Que se fait-il ? que penses-tu de ce qui se fait ? écrit-il sans cesse à son ami Atticus. Où en est l’affaire de mon rappel ? » Telles sont les questions qui remplissent toutes ses lettres. « Reverrai-je ma femme, ma fille, mon fils ? Me rendra-t-on mes biens, ma maison ? » De loin il assiste avec anxiété à chaque péripétie politique ; en ce qui le concerne, il voit toutes les difficultés.