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toutes les complications : s’il accepte l’appui que lui offrent quelques grands personnages, cela ne le brouillera-t-il pas avec les tribuns qui ont pris son parti, et comment refuser cet appui ? « Fais sonder Pompée, dit-il à Atticus, par son affranchi Théophane ; informe-toi des intentions de César auprès de ses amis, des dispositions de Clodius auprès de sa sœur Clodia. » Pomponius Atticus, le correspondant principal de Cicéron, convenait admirablement à ce rôle et était très en mesure de lui apprendre ce qui se passait à Rome, car Atticus était ami de tout le monde[1]. Ce fut un modéré qui sut traverser les derniers temps de la république, si remplis de luttes et de vicissitudes, sans se brouiller avec aucun parti, et qui finit par marier sa fille avec le favori d’Auguste, Agrippa ; homme prudent, peu disposé à la résistance, dont il détourna trop souvent Cicéron, mais conservant une certaine dignité et fidèle à ses amis dans les disgrâces qu’il ne voulait point partager avec eux. Quand Atticus n’était pas à Athènes ou en Epire, il vivait dans une belle maison, située sur le Quirinal, à laquelle était joint un grand parc, et dans une villa aux portes de Rome. Il fut enterré dans la tombe des Cæcilii, sur la voie Appienne, vers le cinquième mille, par conséquent près du tombeau de Cæcilia Metella. Atticus avait placé dans sa bibliothèque le portrait d’Aristote. Il devait goûter la morale de celui qui mit la vertu dans un sage milieu. Comptant des amis dans tous les partis, il avait aussi chez lui les portraits du premier Brutus, le fondateur de la liberté, et de Servilius Ahala, le vengeur de l’aristocratie.

L’hostilité insolente de Clodius ramena Pompée à Cicéron. Les premiers qui proposèrent de le rappeler furent des tribuns. L’un d’eux, Fabricius, vint avant le jour s’établir dans les rostres pour présenter une rogation en faveur de son retour ; mais déjà Clodius, escorté d’hommes armés, était là : ils avaient occupé pendant la nuit le Forum, le comitium et la curie. Ils empêchent le tribun Cispius d’entrer dans le Forum, se jettent sur son collègue Fabricius et vont cherchant le frère de Cicéron pour le tuer. Quintus monte à la tribune, aussitôt on l’en précipite ; il va tomber dans le comitium et s’échappe à grand’peine, protégé par les esclaves et les affranchis qui l’accompagnent. Beaucoup de personnes périrent dans cette mêlée nocturne ; les cadavres encombraient les égouts et le Tibre, il fallut éponger le sang dans le Forum. Un autre jour, le tribun Sestius, favorable à Cicéron, étant venu sans suite au temple de Castor, fut attaqué par Clodius et ses sicaires, armés de bâtons, d’épées et des débris de l’enceinte en bois qu’on dressait dans le Forum pour

  1. Voyez, sur Atticus, l’étude de M. G. Boissier dans la Revue du 1er  juin 1863.