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tendre son père, qui devait être porté au même lieu après elle. On vit dans ce malheur privé un présage de la division qui allait s’accomplir entre César et Pompée, et d’où sortit la guerre civile. Si Julie eût vécu, elle n’eût rien empêché sans doute ; mais la multitude aime à donner de petites causes aux grands événemens. Cependant il est possible que cette mort et celle que bientôt après Crassus alla chercher parmi les Parthes aient hâté une rupture inévitable. César et Pompée se trouvèrent face à face, sans lien, sans intermédiaire, et leur dissentiment ne tarda pas à se montrer ; mais avant de suivre les progrès de ce dissentiment, d’abord voilé, faisons un retour vers Cicéron et Pompée.


II.

Cicéron s’était peu à peu laissé gagner aux séductions de César : dans le discours pour les provinces consulaires, il avait hautement déclaré à la curie sa réconciliation. L’occasion était bonne : on voulait ôter à César l’une de ses deux provinces pour la donner à Gabinius, ennemi de Cicéron. En s’opposant à un pareil projet, Cicéron satisfaisait son ressentiment, et ne semblait céder qu’à la justice et à la gloire. Tous les plaidoyers qu’il prononça vers cette époque prouvent son envie de se rendre agréable à César sans cesser de plaire à Pompée. Il plaida pour Cornélius Balbus, ami de tous deux, en avouant que c’était surtout par déférence pour Pompée, — de qui Balbus tenait le droit de cité qu’on lui disputait avec raison, — non sans de grands éloges de César et l’expression un peu trop vive d’une résignation trop complète à ce qui n’avait pu s’empêcher. Cicéron défendit Rabirius Posthumus, un usurier chassé d’Egypte pour ses extorsions, mais que soutenait César. Il défendit, par un sentiment de reconnaissance personnelle, Plancius, qui lui avait été fidèle dans son exil. Il eut le malheur de plaider pour Vatinius, à qui il avait prodigué les dernières injures, mais que César protégeait, et à la suite d’une visite de Pompée. Cicéron avait dit dans son invective contre Vatinius que ce serait une honte de le défendre, et il le défendit ; comme il l’avouait, sa haine n’était pas libre.

Les faiblesses politiques de Cicéron l’entraînaient à de singulières faiblesses oratoires ; Caton avait eu raison de désapprouver Cicéron, consul, défendant Murena en dépit d’une loi dont lui-même était l’auteur. Ce fut bien pis quand il se vanta d’avoir, par un discours très élégant (ormatissime), fait absoudre Scaurus, qui, du propre aveu de son défenseur, avait, pour être élu, distribué de l’argent au peuple. Scaurus s’était entendu avec d’autres candidats pour