Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/703

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

briguer le consulat à frais communs, et Cicéron disait d’eux à Atticus : « Ils seront absous ; mais après cela on ne pourra plus condamner personne. » Il ajoutait : « Tu me demandes ce que je pourrai dire pour eux ; que je meure si je le sais ! » Malgré le désir de Pompée, il ne plaida point pour Gabinius, son ennemi mortel, tant outragé par lui, et qu’il avait accusé d’avoir sacrifié un enfant aux dieux infernaux ; mais il témoigna en sa faveur : c’était déjà trop. La cause était si mauvaise que les jardins de son gendre Crassipès, situés près de la porte Capène, ayant été atteints par un débordement extraordinaire, Cicéron disait que Jupiter avait puni ainsi l’absolution de Gabinius, et lui-même avait concouru à cette scandaleuse absolution ! Un tel rôle ne convient pas à Cicéron ; mais il l’accepte et le subit. « Tu me demanderas comment je supporte tout cela. Très bien, et je m’applaudis d’être ainsi. Nous avons, mon cher Atticus, perdu non pas seulement la sève et le sang, mais jusqu’à l’apparence et à la couleur de notre ancienne Rome. Rien dans la politique ne me plaît, rien ne me satisfait, et je m’en arrange parfaitement, car je me rappelle combien la république était belle quand nous la gouvernions, et quel gré on m’en a su ! Je ne m’afflige point qu’un seul puisse tout, car ceux qui ont vu avec peine que je pusse quelque chose crèvent de dépit… » Je ne suis pas de ceux qui insultent Cicéron, et qui, sans tenir compte à cette généreuse et brillante nature de ses intentions droites, de ses nobles aspirations, l’accablent sous l’aveu de ses faiblesses : c’est écraser un oiseau avec la pierre qu’il a fait tomber ; je ne consens pas à voir son dernier mot dans une boutade échappée au découragement et au désespoir, mais j’aimerais mieux que Cicéron n’eût pas écrit cette lettre, car, si elle eût été surprise, elle eût réjoui les partisans intéressés de César, qui valaient moins que Cicéron.

On l’applaudissait encore parfois au théâtre, et il s’attachait à ces dernières marques de la faveur qui lui échappait, comme une coquette sur le retour s’attache aux derniers hommages qu’elle reçoit. « Un envieux seul, écrivait-il, a pu dire que c’était Curion et non pas moi qu’on a applaudi. » Cicéron, à cette époque de détresse où il avait besoin de tous les appuis et ne pouvait être mal avec personne, se réconcilia aussi avec Crassus, qui l’avait autrefois ménagé, quand César et Pompée l’abandonnaient, pour leur faire contre-poids, mais qui l’avait abandonné à son tour. La réconciliation fut scellée par un souper dans les jardins de Crassipès la veille du départ de Crassus pour cette expédition chez les Parthes qui lui coûta la vie, et simplifia la situation de César en ne lui laissant qu’un rival à jouer, et un rival bien maladroit. Ce départ de Crassus avait eu lieu sous des auspices menaçans. Au Capitole, le tribun Ateius Ca-