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si longtemps et avait résolu de la renverser. Enfin le sénat, sur la proposition de Scipion, beau-père de Pompée, décréta que César eût à revenir au terme qui lui serait fixé, sans quoi il serait considéré comme ennemi de l’état. Les deux tribuns voulurent user de leur droit d’intercession pour empêcher l’effet de la loi ; on n’en tint compte. Le mot sacramentel des grands périls et souvent des grandes violences fut prononcé : « que les magistrats avisent,… la république est en danger. »

À ce moment, aucune vie n’étant plus assurée, les consuls invitèrent les tribuns à se retirer. Antoine, toujours plein d’audace, s’élance de son siège au milieu de l’assemblée et proteste contre cette atteinte portée à l’autorité du proconsul, disant que les auteurs du décret qui vient d’être rendu doivent être chassés de la curie comme des homicides et des scélérats, annonçant la guerre, les exils, les proscriptions, et dévouant aux puissances infernales les auteurs de tant de maux ; puis il sortit avec Cassius et Curion. Un détachement de pompéiens entourait la curie ; ils furent obligés de revêtir des habits d’esclaves pour se sauver, et allèrent trouver César dans une voiture de louage. Pompée, que l’imperium retenait hors des murs de la ville, n’avait pas paru dans le sénat. Rome, par son ordre, se remplit de soldats, protection dangereuse de la liberté : aussi n’entend-on pas parler en ce moment d’assemblée au Forum ; le Forum est muet, tout se passe dans le sénat. Le sénat fut convoqué hors de la ville, probablement dans la curie de Pompée, près de sa maison. Cette fois Pompée parut, approuva tout, et sembla plein d’espoir ; le trésor public fut mis à sa disposition. Caton tança vertement le préteur Roscius, qui demandait qu’on envoyât une députation à César. Les principaux sénateurs se rendirent dans diverses parties de l’Italie pour lever des troupes et recueillir de l’argent. Cicéron choisit la côte de Campanie, où il avait des propriétés et où étaient sa villa de Cumes et sa villa de Pompéi.

César avait passé le Rubicon et semblait marcher sur Rome. La terreur y était grande ; les prodiges abondaient, on pressentait la fin de la république, on voyait déjà César vengeant ses injures par des proscriptions et livrant à ses Gaulois le Capitole ; les grands personnages s’enfuyaient dans leurs villas, et des gens sans aveu accouraient dans Rome pour aider à la piller. Telle était la physionomie de la ville, forma urbis[1]. La maison de Pompée était assiégée par les sénateurs ; chacun lui apportait une nouvelle, tantôt rassurante, tantôt alarmante ; chacun lui adressait une excitation ou un reproche. Cicéron, qui de loin partageait toutes ces alternatives

  1. « Formam mihi urbis exponas. » (Ad Att, VII, 12.)