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et sérieuse pensée de M. Lanfrey; on est avec un écrivain qui veut s’amuser et amuser en mettant en roman les problèmes politiques et les chiffres eux-mêmes. C’est là, au demeurant, ce livre du Progrès, où il y a un peu de tout, où l’auteur entreprend d’éclairer et de conduire le monde en l’égayant.

De ces jeunes écrivains qui ont grandi depuis moins de quinze ans, M. Edmond About est assurément un des plus brillans, des mieux armés et des plus heureux. Né dans l’Université, nourri de sérieuses études, il a secoué un jour cette enveloppe classique comme il aurait dépouillé la robe du professeur, et il est resté un esprit hardi et piquant, ayant l’allure indisciplinée d’un émancipé de la veille, aimant le bruit et le cherchant, libre de crainte et d’enthousiasme. Il est entré dans la vie littéraire en se jouant, et le succès qu’il a trouvé au premier pas, il l’a obtenu aux dépens de cette pauvre Grèce, qui avait pourtant donné l’hospitalité à ses jeunes années. Ce fut sa première œuvre et ce fut son coup de maître. Depuis ce moment, M. Edmond About a multiplié les tentatives dans la satire et dans le roman, au théâtre et dans la polémique politique. Il n’a point été également heureux dans toutes ses campagnes littéraires; mais il a rencontré chemin faisant assez de succès et assez de défaites pour se créer une personnalité distincte. Le roman surtout l’a tenté, et assez récemment encore il racontait cette étrange histoire de Madelon, où un réalisme d’une crudité sinistre apparaît à travers tous les pétillemens d’un sarcasme audacieux. M. Edmond About, sans avoir une invention féconde, a certainement la hardiesse de l’observation et le don du récit. C’est un conteur facile, léger et éblouissant d’ironie. Un des côtés les plus curieux de cet esprit cependant, une des choses qui expliquent le mieux comment, à travers toutes les aventures littéraires, il revient sans cesse à la politique ou à un certain genre de politique, écrivant tantôt la Question romaine, tantôt le Progrès, c’est qu’au fond il est moins encore un romancier qu’un polémiste.

Le vrai romancier a un bien autre caractère : il est tout entier à son observation et s’absorbe dans son œuvre; il dépouille en quelque sorte sa personnalité pour vivre de la vie des personnages qu’il met en scène, pour s’identifier avec eux, et ne leur prêter que les passions, les sentimens, le caractère et le langage de leur rôle. Il arrive ainsi quelquefois, par la puissance de l’observation et de l’imagination désintéressée, à un degré de vérité saisissante qui fait du roman la simple et fidèle peinture de la vie humaine. M. Edmond About n’est point, lui, de cette nature d’artistes désintéressés qui s’effacent dans leur œuvre; il a au contraire une personnalité impatiente de paraître, de piquer la curiosité et de prospérer. Il