Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/741

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parle par la bouche de ses personnages, il met son cachet dans leur manière de sentir et d’agir, il les promène d’une main ironique. Toutes les fantaisies de son esprit, ses préoccupations du moment, passent dans ses fictions. Si peu qu’on l’en prie, il mettra en roman et avec la même verve courante le drainage des landes ou les merveilles de l’association agricole. Une raillerie légère, mordante, subtile et quelquefois prétentieuse est le trait essentiel de son talent. C’est une nature de polémiste qui passe de la politique à la littérature, de la fantaisie d’imagination à l’économie rurale ou sociale, de la guerre de broussailles à la réorganisation de l’Europe. Il en résulte que ses romans sont quelquefois des traités d’économie publique et que ses livres de politique sont des romans. M. Edmond About se croit évidemment le fils le plus direct et le plus légitime de Voltaire. Un fils, c’est un peu trop; un petit-fils, c’est beaucoup dire encore; un neveu, un arrière-neveu, on peut l’admettre, et c’est ainsi que par droit de famille l’Homme aux quarante écus, cette boutade étincelante de raison et d’ironie, qui avait déjà inspiré à l’auteur des Mariages de Paris l’histoire des Echasses de maître Pierre, se trouve aujourd’hui reprise et délayée dans le Progrès! Seulement l’Homme aux quarante écus tenait en quelques feuillets; le Progrès se déroule en cinq cents pages! Cinq cents pages de gaîté et d’amusement sur le budget, sur la part contributive des citoyens, sur la répartition du travail et sur le mécanisme administratif! M. Edmond About craint un peu de ne pas réussir et de n’être pas pris au sérieux parce qu’il ne fait pas bâiller. « Le Français, dit-il, veut être assommé, comme le lapin demande à être écorché vif : il n’estime pas ceux qui l’amusent. » Il n’est point certainement nécessaire d’instruire en ennuyant son monde, et l’esprit n’est jamais de trop, même dans les discussions les plus sérieuses. Qui sait pourtant si le badinage prolongé sur des questions qui ne prêtent pas absolument à rire ne finit pas par produire le même effet que la gravité prétentieuse?

Le malheur de M. Edmond About en réalité, ce n’est pas de traiter d’une plume vive et légère les affaires sérieuses de son temps, c’est de ne point atteindre autant qu’il le croit à son idéal d’agrément, de laisser dans l’esprit une impression tourbillonnante et confuse, d’exagérer certaines choses, d’en oublier beaucoup d’autres, de se perdre dans mille détails et de ne point faire avancer notablement en fin de compte le problème qu’il traîne après lui de sa verve fringante et agile. Qu’est-ce donc que ce livre du Progrès? C’est un hymne mêlé de chiffres et de calculs. M. Edmond About s’est dit sans doute que pour intéresser des hommes comme nous, des citoyens d’une société affairée, il fallait entrer dans le vif de