Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/797

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les mêmes questions redoutables reviennent dans la pièce qui a pour titre le Mont des Oliviers et qui nous rend l’agonie du Christ. Le Christ demande à son Père le prix de sa venue : il pose les éternels problèmes du bien et du mal, de la vérité et du doute, de la vie et de la mort, de la Providence et du Hasard, tous les pourquoi possibles, en philosophie naturelle, en philosophie morale, en politique :

Et si les nations sont des femmes guidées
Par les étoiles d’or des divines idées,
Ou de folles enfans sans lampes dans la nuit,
Se heurtant et pleurant, et que rien ne conduit ?

Ce poème est des plus beaux par la pensée. Jésus, à toutes les questions qu’il adresse au Père dans son angoisse, ne reçoit aucune réponse ; et pour trancher l’agonie, au milieu de cette nature muette, c’est Judas seul qu’on entend rôdant déjà avec sa torche : d’où le poète conclut que, puisque le Ciel a laissé sans réponse le Fils de l’homme, dorénavant

Le juste opposera le dédain à l’absence
Et ne répondra plus que par un froid silence
Au silence éternel de la Divinité.

M. de Vigny, dans cette pièce écrite en 1862, dix-huit mois environ avant sa mort, gravait en quelque sorte son testament philosophique, et lui-même il a pratiqué ce silence austère dans son année finale de souffrance et d’agonie. Il a dit quelque part encore ailleurs, dans ce volume :

Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse !

Il y a trois beaux silences chez les grands auteurs de l’antiquité : celui d’Ajax aux enfers dans l’Odyssée, lorsqu’à jamais furieux et dans sa rancune jalouse pour l’héritage perdu des armes d’Achille il dédaigne de répondre aux avances d’Ulysse ; celui d’Eurydice dans l’Antigone de Sophocle, lorsqu’apprenant la mort de son fils, elle sort sans dire un seul mot pour se tuer ; celui enfin de Didon aux Champs-Élysées de Virgile, lorsqu’elle ne répond aux tendresses tardives d’Énée que par un muet regard de mépris. Dans les trois cas sublimes, un même effet est produit par la haine orgueilleuse d’un héros, par la douleur délirante d’une mère, par le ressentiment implacable d’une amante. M. de Vigny a trouvé un quatrième et non moins superbe silence : celui du poète.

Un grand désespoir est l’inspiration générale de ces pièces des dernières années, — un sentiment d’abnégation, combattu par je