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ne sais quel autre sentiment qui dit au poète d’espérer en l’esprit, en l’avenir de l’esprit, et contre toute espérance même. La Bouteille à la mer exprime sous une forme saisissante cette disposition stoïque et funèbre. On est dans un grand naufrage; qui que tu sois, passager ou capitaine, lutte jusqu’au bout, fais ce que dois; qui sait?... peut-être!

La Mort du Loup, qui est dans la même intention stoïque, marque un peu trop le parti-pris de chercher partout des sujets de poésie philosophique et méditative; l’apostrophe aux sublimes animaux vient un peu singulièrement à propos de cet animal féroce que je n’avais jamais vu tant idéalisé que cela. Les chasseurs en savent là-dessus plus long que moi; mais ici il me paraît qu’il y a un peu trop de désaccord entre la bête prise pour emblème et la moralité trop quintessenciée.

La Sauvage qui exprime le contraste de la vie errante primitive avec la colonisation la plus civilisée, est mieux conçue et contrastée ; c’est l’éloge de la famille anglaise, du comfort anglais, de la religion biblique anglicane. L’idée y est supérieure à l’exécution; la pièce paraît longue, et un peu d’ennui s’y glisse. Une grave inexactitude s’y fait remarquer : Caïn y est représenté comme laboureur, et c’est à bon droit; mais Abel, le pastoral Abel, y est donné comme chasseur et hantant les forêts, ce qui n’est pas juste.

Dans le joueur de Flûte, le poète a essayé de la poésie familière; un sentiment d’humilité et de fraternité qui ne lui est pas habituel l’a inspiré : il explique par une image sensible, empruntée à l’instrument de buis, les désaccords, les fautes et les gaucheries de l’exécution en toute œuvre de l’esprit et de l’art. Il s’en prend, en général, des imperfections moins au joueur lui-même qu’à la flûte. Les derniers vers, où il montre le pauvre mendiant, tout réconforté et encouragé par de bonnes paroles, se remettant à jouer et jouant mieux qu’il n’avait jamais fait, sont des plus heureux :

Son regard attendri paraissait inspiré,
La note était plus juste et le souffle assuré.

Il y a pourtant quelques gaucheries dans cette pièce même. En un endroit, on se demande ce que c’est que

Le bon Sens qui se voit, la Candeur qui l’avoue,


avec leurs majuscules. Ce n’est pas seulement prétentieux, c’est au rebours de l’intention; car, précisément, le bon sens et la candeur vont tout droit leur chemin et n’ont pas de grandes lettres sur leur chapeau.