Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les plaines de la Bavière il s’unit à la puissante fille des Alpes. Désormais l’Inn portera le nom de celui dont elle fait la grandeur, et leurs eaux confondues formeront le large fleuve dont les trois embouchures versent dans la Mer-Noire les eaux de soixante affluens. À sa source, l’Inn, émissaire d’un petit lac du Septimer, se précipite le long des pentes du Maloya ; alimentée par les eaux provenant des glaciers voisins, elle traverse les jolis lacs de Silz, de Silva-Plana et de Saint-Maurice, encadrés dans un gazon court et fin d’une incomparable verdure. Les lacs sont séparés l’un de l’autre par les moraines des anciens glaciers qui jadis descendaient dans la vallée de l’Inn. Composées d’énormes blocs amenés des montagnes voisines et entassés les uns sur les autres, ces moraines ont créé les lacs en barrant le cours du jeune fleuve. Avec le temps, ces digues, élevées par la glace, se sont couvertes de mélèzes et d’airolles (pinus cembro), les seuls arbres qui puissent vivre encore sous ce climat, trop âpre pour les pins et les sapins du nord ; sous leur ombrage croissent les myrtilles, les airelles, quelques saules et chèvrefeuilles alpins. La belle végétation qui entoure les blocs monstrueux descendus des cimes du Bernina finit par les envahir eux-mêmes. Les lichens et les mousses commencent l’attaque ; ils se fixent sur la pierre, qu’ils désagrègent en s’y incrustant ; des graminées germent sur le terreau formé par les élémens dissociés de la roche mélangés avec l’humus, résultat de la décomposition des débris qu’ont laissés les premiers colons. De petites herbes annuelles poussent les premières sur ce nouveau sol, puis des plantes vivaces, ensuite des arbustes, enfin des arbres. Souvent on voit un groupe de pins ou de mélèzes couronnant un énorme monolithe de granit. C’est l’œuvre du temps : il a changé l’aride moraine en une forêt pittoresque. Que de siècles il a fallu pour cette transformation ! L’été est si court, la croissance des arbres est si lente, car en Engadine l’hiver dure huit mois. La neige, tourbillonnant des journées entières dans les airs, s’entasse à la hauteur de 2 ou 3 mètres. Le thermomètre descend à 20 et même à 30 degrés au-dessous de zéro ; la vallée tout entière reste ensevelie pendant la moitié de l’année sous un épais linceul qui s’étend sur les lacs glacés, nivelle les aspérités du sol, et condamne à une réclusion complète les animaux et souvent les hommes eux-mêmes. En mai, la neige commence à fondre : toutefois ce n’est qu’à là fin de juin qu’elle disparaît du fond de la vallée, tandis qu’elle couvre encore toutes les sommités voisines ; mais alors les prairies, délivrées de cette neige qui les a protégées contre le froid en hiver et arrosées au printemps, rient au soleil et s’émaillent des premières fleurs alpines. Les mélèzes poussent des houppes de feuilles du vert le plus