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un homme déjà remarqué par ses services, Nicolas de La Reynie, que Colbert avait dû envoyer, l’année précédente, dans les ports du royaume pour réorganiser la juridiction des amirautés, entachée de mille abus. Cette mission, dont la durée fut de plusieurs années, ayant été ajournée, Colbert, qui avait reconnu le mérite du jeune maître des requêtes, le proposa pour les fonctions de lieutenant de police. C’était sans contredit un coup de fortune pour celui que le tout-puissant ministre tirait ainsi de la foule, et qui allait attacher son nom aux mesures d’ordre, de police et de réformation intérieure qui marquèrent les glorieux débuts du règne; mais ce choix ne fut pas moins heureux pour le gouvernement et pour les Parisiens, qui trouvèrent dans le nouveau magistrat un administrateur ferme et modéré, inflexible contre les vieux abus, vigilant, passionné parfois dans l’exercice de sa charge, évitant néanmoins le plus possible de faire du zèle dans une place où le zèle pouvait être si funeste, d’une intégrité enfin que les contemporains eux-mêmes ne suspectèrent pas.

Notre époque, si pauvre en beaux portraits habilement gravés, contraste avec le siècle de Louis XIV, qui nous en a légué un nombre prodigieux. J’ai là, devant moi, messire Gabriel-Nicolas de La Reynie, conseiller du roy, maistre des requestes, peint par Pierre Mignard, son ami, et admirablement buriné par van Schuppen. L’air du visage est sérieux sans être sombre, la physionomie ouverte; l’œil, pénétrant et scrutateur, est bien d’un magistrat; les traits, nobles et réguliers, ont une nuance de hauteur, mais de hauteur gracieuse; l’épaisseur de la lèvre et du menton annonce une volonté énergique[1]. En admettant que le peintre ait idéalisé son modèle, on est encore bien loin de cette tête de diable imaginée par la vindicative duchesse de Bouillon, et devenue traditionnelle grâce à Voltaire.

L’homme que ce portrait représente était né le 25 mai 1625, à Limoges, d’une bonne famille de robe. Son père, Jean-Nicolas, sieur de Tralage et de La Reynie, exerçait la charge de conseiller du roi en la sénéchaussée et présidial de la ville. Élevé à Bordeaux, le jeune Nicolas s’y était, après ses études, établi comme avocat. Le à janvier 1645, il épousait, âgé de vingt ans, Antoinette des Barats, fille d’un avocat au parlement de Bordeaux, à laquelle ses parens constituèrent une dot de 24,000 livres. Quant à lui, il eut de son père le fief de La Reynie, valant 200 livres de rente, dont il se hâta de prendre le nom, plus sonore et de meilleure figure que celui

  1. L’original de ce portrait, parfaitement conservé, appartient à M. Octave de Rochebrune, à Fontenay (Vendée), par héritage de la succession du fils de La Reynie.