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la vérité, n’était plus ; mais toute discipline avait-elle donc disparu avec lui ? On se demande enfin ce qui devait se passer dans les provinces, puisque l’insubordination était poussée à ce point sous les yeux mêmes du gouvernement.

L’année 1693 fut plus agitée et plus difficile encore que celle qui venait de finir. Vainement la police escortait les boulangers sur les routes et les protégeait pendant la durée des marchés ; la détresse était telle que la crainte des châtimens et de la mort même n’était plus un frein suffisant. Vers la fin de mars, les soldats des gardes (toujours des soldats !) se livrèrent à de graves désordres dans divers marchés. « Ils s’attroupèrent au Marché-Neuf, dit La Reynie, et après s’être répartis par pelotons ils enlevèrent de force du pain et du poisson, et quelques-uns de ces soldats se jetèrent sur l’argent que l’on comptoit à une vendeuse de marée. » La Reynie ajoute que le blé avait été rare aux halles, et que les prix, stationnaires depuis quelques mois, s’étaient élevés de vingt sols par setier, ce que quelques personnes attribuaient au mauvais temps. « On a appris cependant, disait-il à M. de Harlay, qu’il a passé des gens inconnus aux habitans des lieux d’où il vient des blés à Paris, qui ont affecté de les enchérir, et qui ont promis d’enlever tout au même prix. Il pourroit être avantageux au public qu’il vous plût de vous en faire rendre compte. » Le fantôme des accapareurs se dressait de nouveau, et troublait toutes les têtes. Depuis le commencement de l’année, de nombreux arrêts avaient été rendus contre les marchands de blés, moyen infaillible pour empêcher que le commerce vînt en aide aux populations. D’autre part, la répression ne faiblissait pas. Le 14 mai, un ouvrier avait forcé, à la tête d’un attroupement, la boutique d’un boulanger de la rue de Lourcine, et pillé le pain et les meubles. Il fut condamné par La Reynie à être pendu au carrefour de la porte Saint-Marcel, et l’arrêt, confirmé par la cour du parlement, fut exécuté le lendemain même. Quelques jours après, le 29 mai, on ouvrait des ateliers publics aux pauvres valides, à la condition qu’ils ne sortiraient pas aux heures de repos pour aller mendier. Par malheur, la nouvelle récolte fut encore plus mauvaise que la précédente, et la situation ne fit qu’empirer. Pendant plusieurs mois, les lettres de La Reynie et de Harlay sont pleines de détails navrans et montrent que le gouvernement ne savait jamais la veille s’il y aurait du pain à la halle le lendemain. Sollicité de proposer un remède au mal, le lieutenant de police proposa d’enjoindre : — à tous les laboureurs et fermiers, à huit lieues à la ronde, d’amener sans délai leurs grains aux halles et autres marchés les plus rapprochés de leurs domiciles, sous peine d’amende et de confiscation, — aux marchands de blés de déclarer