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dans trois jours la quantité qu’ils en avaient, avec obligation d’envoyer incessamment à Paris les grains nécessaires. Sur ces divers points, La Reynie ne fut que trop écouté. Un arrêt du parlement du 27 juillet donna force de loi aux dispositions qu’il avait suggérées, et décida que les blés seraient vendus d’autorité, au prix moyen des marchés, du 25 juin au 8 juillet. Veut-on savoir le résultat de ces fatales mesures ? Le 20 juillet, le prix du setier était de vingt-quatre livres ; un mois après, il s’élevait à quarante-deux livres.

Les faits économiques obéissent en effet à des lois naturelles qu’on ne fausse pas impunément, et sur ce terrain la force brutale se brise impuissante. Comme toujours en pareil cas, les résultats obtenus furent donc bien différens de ceux qu’on avait espérés. À bout d’expédiens, le gouvernement chargea (5 septembre 1693) les conseillers d’état Pussort, d’Aguesseau, de Harlay fils et Phélypeaux d’aviser aux moyens « d’obliger sans délai ceux qui avoient des magasins de blé à le vendre, et d’en faciliter la circulation dans les provinces. » Un second arrêt ordonnait de nommer dans toutes les villes et communes du royaume des personnes de probité pour visiter les fermes, abbayes et maisons, dresser procès-verbal de la quantité de grains qui s’y trouveraient et les faire porter aux marchés. S’il eût été possible d’ajouter au mal, de telles mesures l’eussent fait ; elles restèrent à peu près partout lettre morte. La défense aux brasseurs, ceux des Flandres exceptés, d’employer du blé ou de l’orge à la fabrication des bières, la suppression de tous droits d’entrée et autres levées tant au profit du roi que des villes, communautés ou seigneurs particuliers, firent sans doute quelque bien ; mais les violences continuaient. Le 16 septembre, à la nuit, deux cents femmes attaquèrent à coup de pierres la maison d’un boulanger de la rue des Gravilliers. Le lendemain, nouveaux troubles, nouveaux pillages de boulangeries par des femmes. Les journées suivantes ne furent pas moins agitées. Le 24, La Reynie, envoyant à M. de Harlay un pain de seigle et d’orge qui ne revenait qu’à deux sous, lui mandait : « La chaleur paroît grande du côté du faubourg Saint-Marcel. Ce sont des femmes et des veuves de soldats qui souffrent véritablement et qui sont d’une vivacité extraordinaire. Il en est venu ce matin devant ma porte, auxquelles il a fallu nécessairement que j’aie parlé, après avoir entendu la plus hardie, qui portoit la parole pour toutes les autres, lesquelles n’avoient point osé la suivre, de crainte qu’on ne le trouvât mauvais, quoique, à ce qu’elle m’a dit, ces femmes, qui avoient vu périr une partie de leurs enfans, fussent peu en peine de leur propre vie, à cause de la misère extrême qu’elles souffroient… »

Si ces faits étaient purement accidentels, il n’y aurait qu’à les