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renne (1675), les mauvaises dispositions du chancelier Le Tellier et de Louvois contre les protestans devinrent plus marquées; mais Colbert, dont la tolérance s’étendait jusqu’aux juifs en faveur de l’industrie, continua de résister au nom de cet intérêt considérable. « M. Colbert, écrivait un jour Mme de Maintenon, ne pense qu’à ses finances, et presque jamais à la religion. » Peu ta peu les exigences des catholiques exclusifs, que le chancelier soutenait ouvertement, s’accrurent. Au mois de septembre 1680, une protestante qui demeurait au faubourg Saint-Germain étant tombée malade, des prêtres de Saint-Sulpice pénétrèrent chez elle sans y être appelés. Il s’ensuivit quelques désordres au sujet desquels Colbert demanda des explications à La Reynie. Quoique très réservée, sa lettre renfermait un blâme réel contre les prêtres qui forçaient ainsi la porte des malades. Une famille industrielle restée célèbre, celle de van Robais, dont le chef avait initié la France à la fabrication des beaux draps de Hollande, était protestante. Tout en désirant sa conversion, Colbert la protégea jusqu’au bout contre les capucins d’Abbeville, qui, suivant ses expressions, la pressoient trop. Le moment vint pourtant où il céda au torrent, et l’on a, de ses dernières années, beaucoup de lettres par lesquelles il ordonne d’expulser des finances et des fermes tous les religionnaires. De son côté, le marquis de Seignelay, qui dirigeait la marine sous ses ordres, écrivit le 4 juillet 1680 à l’intendant de Brest : « Sa majesté attendra encore un mois ou deux que les officiers de la religion prétendue réformée se mettent en état de profiter de la grâce qu’elle a bien voulu leur accorder, et elle chassera ceux qui auront persévéré dans leur opiniâtreté. » Une seule exception était faite à l’égard de Du Quesne à cause du besoin qu’on avait de ses services, et combien de fois elle lui fut, sinon reprochée, du moins rappelée! Mais quand la mort de Colbert, véritable calamité nationale, eut laissé le champ libre à l’influence du vieux Le Tellier et de l’impétueux Louvois, les édits contre les protestans se multiplièrent. Même avant la révocation de l’édit de Nantes, la persécution avait atteint un degré de violence dont la seule excuse, s’il pouvait y en avoir une, serait dans la complicité de la population, depuis les classes les plus éclairées jusqu’aux plus ignorantes. Un fait digne de remarque, c’est que, d’après le dernier article de l’édit de révocation, les protestans pouvaient, « en attendant qu’il plût à Dieu de les éclairer comme les autres, demeurer dans le royaume, y continuer leur commerce et jouir de leurs biens, sans pouvoir être troublés ni empêchés, à condition de ne point s’assembler sous prétexte de prière ou de culte. » Or cet article était en contradiction formelle avec le plein pouvoir donné précédemment aux intendans d’expulser du royaume tous ceux qui résisteraient à