Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/844

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la grâce. Quelques intendans ayant demandé des instructions plus précises, Louvois dissipa tous les scrupules en leur écrivant qu’il ne doutait pas que quelques logemens un peu forts ne détrompassent les religionnaires de leur erreur sur l’édit que M. de Châteauneuf (c’était le secrétaire d’état ayant les affaires de religion dans ses attributions) leur avait dressé. « Sa majesté, ajoutait Louvois, désire que vous vous expliquiez fort durement contre ceux qui voudront être les derniers à professer une religion qui lui déplaît et dont elle a défendu l’exercice par tout son royaume. » Recommandations bien dignes du ministre impitoyable qui, dans le temps même où il était livré aux grands tourbillons de la vie et des passions humaines, écrivait à un commandant de province : « Sa majesté veut qu’on fasse sentir les dernières rigueurs à ceux qui ne voudront pas suivre sa religion, et ceux qui auront la sotte gloire de vouloir rester les derniers doivent être poussés jusqu’à la dernière extrémité. » Était-on assez loin des temps heureux où le jeune roi, suivant de confiance les inspirations de Colbert, invoquait, pour dissuader Charles II d’épouser les rancunes religieuses de son parlement, « la douceur et la considération avec lesquelles les princes catholiques traitoient dans leurs états ceux de leurs sujets qui professoient une autre croyance[1]! »

La Reynie, on s’en doute bien, fut activement mêlé aux affaires de religion dans Paris. Une intrigue ministérielle les lui avait un moment soustraites, une autre intrigue les lui rendit. Le spectacle intime des rivalités et des jalousies qui troublent la sphère des hommes appelés à gouverner sera toujours un curieux sujet d’étude. Quel intérêt ne doit-il pas s’y attacher quand ces rivalités se produisent à l’occasion d’un fait tel que la révocation de l’édit de Nantes, qui fut accueilli avec une si aveugle faveur par les multitudes, avec de si justes imprécations par ceux qui en étaient victimes, et qui est resté l’un des événemens les plus considérables d’un règne à jamais célèbre? Un contemporain, le marquis de Sourches, grand-prévôt de la cour et en position de bien voir, raconte que, les affaires de religion étant, vers 1685, les seules de quelque importance, chacune des factions du ministère, toujours partagé entre les influences jalouses des familles Colbert et Le Tellier, essayait d’en attirer à soi la direction et le détail. Par sa charge de secrétaire d’état ayant l’Ile-de-France dans ses attributions, le marquis de Seignelay devait connaître de toutes les questions intéressant les protestans de Paris. S’il faut en croire le grand-prévôt, La Reynie,

  1. Bibliothèque impériale, Mss. FF., 10,2G(). Recueil de Lettres de Louis XIV; lettre du 24 mars 1603.