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prîmes. Il y a au sud de Tamatave de grands lacs que nous désirions visiter. Grâce à l’obligeance de M. Ferdinand Fiche, fils aîné de la princesse Juliette, élevé en France, nous pûmes accomplir cette course dans les meilleures conditions. De Tamatave à Ivondrou, nous parcourûmes de vertes prairies où les bœufs madécasses, les zébus au cou surmonté d’une bosse de graisse, paissaient en liberté, puis nous traversâmes les lagunes, si nombreuses sur cette partie de la côte, si difficiles à dessécher à cause de la contre-pente du sol, et qui en été laissent échapper des émanations fiévreuses; enfin, au sortir d’un bois où les grands copaliers, les palmiers raffia, les cocotiers, les ravenals et d’autres arbres des tropiques croissaient simultanément, nous nous trouvâmes sur les bords du grand lac d’Ivondrou. M. Ferdinand Fiche nous attendait avec son frère Antoine, et en quelques instans un déjeuner à la mode malgache fut préparé et servi. Nous y fîmes honneur en convives venus de loin et dont la promenade et l’air frais du matin avaient aiguisé l’appétit. Assis en rond par terre, autour d’un pilau de riz jeté sur une large feuille de ravenal qui tenait lieu de nappe, nous plongeâmes tous à la fois nos cuillers dans le tas fumant. M. Fiche avait fait couper aussi des feuilles de ravenal en carrés plus petits qui servirent d’assiettes; enfin, ramenant les bords de ces carrés l’un vers l’autre, il nous apprit à plier ces feuilles en forme de cuiller ou de conque. Les gens de sa suite et lui-même buvaient et mangeaient ainsi avec beaucoup de dextérité. Le ro malgache, entrée de poulet à la sauce relevée de karry, le bœuf à l’odeur de musc découpé en tranches grillées, le poisson salé et fumé, servirent à faire passer le riz que nous mangions en guise de pain. Pour compléter ce déjeuner indigène et rester fidèles à la couleur locale, quelques-uns de nous voulurent boire le ranampango, sorte d’infusion préparée avec une portion du riz qu’on laisse brûler dans la marmite. Rebelles à une pareille boisson, amis quand même des produits de la patrie absente, la plupart des convives préférèrent se désaltérer avec du vin de Bordeaux, dont M. Fiche n’avait pas oublié de se munir. Le nectar des bords de la Garonne gagne à Madagascar un nouveau bouquet, ayant deux fois passé les tropiques, et nous ne pûmes rester insensibles à l’occasion qui nous était offerte de nous en convaincre. En somme, M. Fiche fut de tous points un hôte accompli, et nous parut mériter en fort bonne part le titre de Malgache parisien sous lequel Mme Ida Pfeiffer a voulu le désigner.

A l’issue d’un repas qui inaugurait si bien notre excursion, nous montâmes dans des pirogues contenant chacune cinquante vigoureux rameurs choisis parmi les plus robustes esclaves de notre hôte. Ces bateaux, taillés dans un seul tronc d’arbre, sont de forme élan-