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heureusement, pour les amateurs de géologie, avec les alluvions siliceuses jusque-là partout rencontrées. En divers points, ces terrains avaient été soulevés et même déchirés par des éruptions volcaniques anciennes, et des fragmens de laves et de basalte roulés par la rivière présentaient des coquilles fossiles collées à la roche, particularité dont il serait peut-être difficile de citer d’autres exemples. Bientôt nous arrivâmes, sur la rive gauche de l’Ivondrou, à la sucrerie de M. Fiche. Des champs de cannes et de manioc s’étalaient sur l’un et l’autre bord, à droite et à gauche du chemin qui menait à l’habitation. Une maison un peu délabrée, mais dont les appartemens avaient conservé leur air grandiose d’autrefois, nous ouvrit ses portes hospitalières. Elle était bâtie de ce beau bois de natte, rival de l’acajou, presque indestructible. A la façon dont la matière avait été prodiguée, on sentait que c’étaient les forêts du pays qui avaient été mises à contribution. L’architecte n’avait pas eu recours aux formules de la science pour ménager ses matériaux, et les solives, les planches formant les parquets ou les parois latérales, avaient toutes de respectables dimensions. Nous arrivâmes à cette demeure par une allée d’orangers, non sans nous être arrêtés un moment au port, où des pirogues appartenant à notre hôte débarquaient le poisson pris sur le fleuve et le lac, et en si grande abondance que nous crûmes assister à une seconde édition de la pêche miraculeuse. Ce poisson, salé ou fumé, devait servir à la nourriture des enclaves attachés à l’établissement.

Il était six heures du soir. Les travaux des champs avaient fini, et les travailleurs, se rendant par groupes dans leur case, portaient chacun sur la tête une gerbe de cannes qu’ils déposaient devant l’usine. C’est un moyen de diminuer les frais de transport dans un pays où les routes ne sont pas faciles, et où les chars, traînés par des bœufs, rappellent assez bien, par leurs roues basses, massives, et leur grossière construction, les chars antiques des premiers temps de l’Asie. Quelques esclaves, les pieds chargés de chaînes ou retenus dans un anneau de fer, avaient peine à marcher. C’était pitié de les voir s’avancer lentement, gauchement, leur faix sur la tête. Emus de ce spectacle inattendu, nous voulûmes du moins tenter la délivrance de l’un d’eux. Nous choisîmes le moins coupable, nous demandâmes sa grâce à M. Fiche, et il nous l’accorda sur l’heure. Le malheureux n’avait plus que pour quatre mois de chaîne!

L’établissement que dirige aujourd’hui M. Fiche a été fondé par M. de Lastelle. Ce courageux colon, né à l’île Maurice au commencement de ce siècle, mort à Madagascar en 185(i, était, avec M. de Ronthaunay, négociant de l’île de La Réunion, avec M. Laborde et M. Lambert, un de ces hardis pionniers qui de la grande île afri-