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du moins dans son principe et ses dispositions fondamentales, par la condition réelle des paysans. Il ne peut entrer dans notre pensée de défendre l’ancien état social et politique de la Pologne; c’est cette constitution même, mélange d’anarchie et de servitude, qui a perdu ce malheureux pays. Il importe cependant de faire remarquer que la condition du paysan polonais différait de celle du paysan russe. La Pologne a son histoire distincte, et au moment où le servage personnel s’est introduit en Russie, les deux peuples formaient des états séparés. Dès la fin du XVIIIe siècle, le servage du paysan polonais était plus réel que personnel. Les seigneurs conservaient le tiers ou la moitié de leurs terres pour leur propre exploitation, et abandonnaient le reste aux paysans à titre d’usufruit et à charge de diverses redevances, soit en nature, soit en travail. Par la force des choses, cet usufruit était devenu héréditaire de fait. Là où la population était rare et le sol fertile, comme en Podolie et en Ukraine, les paysans ne devaient ordinairement que douze journées de travail par an ou une redevance pécuniaire très faible. Dans les autres provinces, leur condition était moins bonne; mais en général, dans toute la Pologne, leurs obligations étaient devenues fixes par la coutume. Ces obligations résultaient d’inventaires ou terriers homologués par les diètes.

Déjà, avant les derniers partages, quelques hommes éminens songeaient à une amélioration légale du sort des paysans. Le comte André Zamoyski, chancelier de la couronne et grand-père des comtes Zamoyski d’aujourd’hui, le comte Chreptowicz, chancelier du grand-duché de Lithuanie, d’autres grands propriétaires encore, avaient remplacé la corvée dans leurs domaines par un cens fixe. La mémorable constitution du 3 mai 1791, qui restera dans l’histoire comme le testament de l’ancienne Pologne et la réparation malheureusement trop tardive de ses erreurs politiques, avait fait un grand pas vers l’émancipation des classes rurales. Par son article 4, elle mettait les paysans sous la sauvegarde de la loi, et leur reconnaissait le droit de conclure avec leurs seigneurs des conventions obligatoires pour les deux parties. Les paysans devenaient par là citoyens, et si la constitution de 1791 avait pu être exécutée, elle aurait certainement amené avec le temps leur complet affranchissement. Survinrent les derniers partages, cette loi salutaire périt avec le reste; les puissances copartageantes, qui conservaient encore le servage chez elles, ne firent rien pour le faire disparaître du sol polonais.

En 1807, Napoléon, en érigeant le duché de Varsovie, abolit formellement le servage, et introduisit dans cette partie de l’ancienne Pologne, devenue en 1815 le royaume actuel, le code qui porte son