Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lectuelle et morale. Jamais son style n’a été plus ample, et, ne lui en déplaise, plus sobre. Il a les deux faces du talent en une seule, ses deux ailes sont d’égale longueur. Sa prose est aussi belle que ses plus beaux vers, son expression est immense sans être difforme, ses images sont éblouissantes sans être confuses. On l’aborde toujours avec un certain effroi, comme on aborde la mer: mais on se calme à mesure qu’on avance. Cet océan gronde toujours aussi haut, mais il est, d’un horizon à l’autre, harmonie et limpidité; il vous communique sa force, il remplit votre esprit de sa splendeur. Vous vous sentez tout à coup de force vous-même à vous confier à cette grande houle qui chante comme Amphion, et vous abordez à tous les rivages qu’elle bat ou caresse, sans craindre les monstres qui menacent, sans méconnaître les esprits célestes qui sourient.

Il a écrit ce livre pour dire que la poésie est aussi nécessaire à l’homme que le pain. Tout ce qu’il dit le prouve; mais ce qui le prouve plus que tout, la preuve des preuves, c’est la beauté du livre. On sent qu’avec lui on monte un échelon au-dessus de soi-même, et si l’on ne craignait l’orgueil, on oserait dire que sa puissance vous attire jusqu’à lui. Elle vous épure, elle vous allège. On est fier de penser comme lui sur les devoirs du poète envers les faibles; on est heureux d’entendre proclamer sa propre foi par cette bouche d’or. Il y a de l’archange dans le combat de cette âme inspirée contre les chimères qui rugissent encore sur les bords de l’abîme du passé, l’ignorance, la superstition, le mensonge, la folie, la cruauté, la barbarie. Quelle noble guerre à l’égoïsme, à la peur, à la faiblesse ! quelle vigoureuse défense des opprimés, et quel élargissement offert au sentiment de l’idéal! Comme cette acceptation sans réserve et sans critique des grandes aspirations de la pensée est généreuse et jeune!

Pourtant il y aurait à dire. La critique est une législation ou un enseignement : législation, elle ne peut se passer de lois; enseignement, elle ne peut se passer de méthode. Sa mission est de former le goût. Peut-on former le goût? J’en doute; mais on peut, on doit faire naître le besoin de goûter, et en tirant les sens de leur apathie naturelle, on les force à s’aider du discernement. Je ne te parle pas ici seulement des écrivains critiques, je parle de toi et de moi, je parle de nous tous qui, à toute heure de notre vie, sommes appelés à exercer notre jugement sur toutes les choses de la nature et de la civilisation. Nous sommes bien forcés alors de distinguer un vice d’une vertu, une ombre d’un rayon, une tache d’une beauté. Sans cela, nous n’aurions pas de raison pour admirer et apprécier quoi que ce soit. Que nous nous trompions tous et sans cesse, que les plus grands se trompent, que Voltaire, le roi de la critique, se soit trompé, peu importe, le fait ne prouve rien; il faut que la critique