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rieux, des organes plus déliés, lui révèlent des choses que nous ignorons. Il s’oriente toujours à coup sûr. Un oiseau, un chien, parcourent des distances énormes au sortir d’une cage ou d’un wagon fermés qui les ont emportés loin de leur gîte ordinaire sans leur permettre d’observer les accidens du chemin. Aussi ce n’est pas par le même chemin qu’ils s’en retournent, ils vont en ligne directe et sans se tromper. Si c’est là ce qu’on appelle l’instinct, à la bonne heure, c’est une condition de supériorité; mais il ne faut pas dire qu’ils ont l’instinct à défaut de l’intelligence, de la mémoire, de l’observation et du raisonnement, car ils ont tout cela et l’instinct en plus.

D’ailleurs, je le vois et je le crois maintenant, l’homme n’est pas plus perfectible que l’animal. Aucune espèce d’être n’est intrinsèquement perfectible. Ce qui est perfectible, c’est la condition humaine par le fait du sens mystérieux qui, chez l’homme, remplace l’instinct. L’instinct de l’homme, c’est d’améliorer son existence et de faire servir le connu à la découverte de l’inconnu. L’instinct de l’homme, c’est la science éternellement progressive. Lui, l’homme, il est aussi bien doué du temps d’Homère que du temps de Molière. Il est apparu sur la terre en possession du sentiment de l’infini, et il n’est pas prouvé qu’il ait eu besoin de la parole pour posséder l’idéal dans son cerveau. Ce qu’il a su tard dans sa journée, il l’a pressenti dès son aurore. L’instinct ne lui a pas dit comme aux autres animaux : Trouve ce qu’il te faut; il lui a dit : Cherche ce que tu rêves, et l’homme a cherché, il cherchera toujours. Il a toujours été, il sera toujours aussi ardent, aussi actif, aussi inquiet, aussi tenace, aussi ingénieux dans sa recherche, et, sans se modifier en aucune façon lui-même, il modifiera sans cesse toutes choses autour de lui. L’instinct de l’homme, c’est le progrès. Il est plus qu’un être perfectible, il est un être perfectionneur.

Voilà ce que j’ai lu et compris. L’ai-je bien compris? Il me semble que oui. Le poète n’a pas voulu seulement déifier les poètes. Il n’a pas voulu dire que, dans cette race incapable d’avancer. Dieu a jeté de siècle en siècle quelques êtres d’exception destinés à lui crier : « Nous marchons sans toi. Nous sommes seuls élus; tu auras besoin, toi, pour exister, des lentes découvertes de la science. Nous venons de Dieu directement; tu es né, toi, du chêne ou du rocher.»

Non! il y a un chapitre magnifique sur les âmes qui prouve bien que, si Dieu verse plus de lumière sur une tête que sur une autre, c’est par de mystérieux desseins sur toutes. Pourquoi cet atome, pareil aux autres atomes, devient-il Homère ou Hésiode? C’est parce que le moment est venu où l’humanité, enceinte de ces génies, peut et veut les mettre au monde. Ils sont initiés au prodigieux, mais ils ne sont pas nés du prodige. Ils nous appartiennent, ils