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Ces divers exploits de sauvetage ont été accomplis par des bateaux ordinaires : il est curieux de leur opposer la conduite des life-boats. Tandis que les plus gros vaisseaux chancellent comme un homme ivre, ou tremblent comme une femme éperdue sous les coups du vent et de la mer, le life-boat semble à l’aise et pour ainsi dire chez lui au milieu des vagues les plus sinistres. Il est aux autres canots ce qu’est l’oiseau des tempêtes aux différentes tribus ornithologiques. Il ne faudrait pourtant pas croire que les hommes qui le gouvernent n’aient point aussi besoin d’un grand courage. Comme ces vrais canots de sauvetage sont requis le plus souvent dans des cas désespérés, la somme des dangers se trouve à peu près égale, et les circonstances dans lesquelles ils manœuvrent sont bien faites pour frapper de terreur l’imagination des plus intrépides. Durant un de ces tremblemens de mer que les Anglais désignent sous le nom de ground swell, une barque, la Comtesse de Lisburne, avait frappé contre la barre de Cardigan. Son mât et sa voilure venaient déjà d’être emportés par un coup de vent. Les vagues tombaient l’une après l’autre contre les planches du bâtiment avec le bruit profond et sépulcral d’un éboulement de terre contre un cercueil. A peine le danger que courait la barque fut-il connu sur la côte que le life-boat de Cardigan s’élança dans la mer. L’équipage du canot voyait palpiter à l’horizon sous le choc des vagues les débris du naufrage comme une chose vivante qui demande grâce. Ce jour-là, la mer était d’une violence à renverser un trois-mâts; à plus forte raison jouait-elle avec la faible barque ainsi qu’avec une coquille d’œuf. A mesure que le life-boat approchait des naufragés, le roulis se montrait si terrible qu’il eût fait pâlir l’homme le plus résolu. Les malheureux avaient perdu leur chaloupe; il ne leur restait donc plus d’espoir que dans le canot de sauvetage. Regardés en face par la mort, ainsi que disent les Anglais, ils poussaient des cris déchirans. Cependant les hommes du life-boat avaient juré de sacrifier leur vie ou de sauver celle de leurs frères. Ils réussirent enfin contre vents et marées à atteindre les trois marins composant l’équipage de la Comtesse de Lisburne, et les ramenèrent sains et saufs vers le rivage.

Des hommes qui luttent sans pâlir contre la mer et contre les élémens déchaînés avec la noble intention de secourir leurs semblables sont naturellement des hommes de cœur. Aussi les marins et les pêcheurs qui forment sur les côtes les équipages des life-boats se distinguent en général par une vie exemplaire. Qui ne devine l’action morale exercée sur de tels caractères par la nature auguste des services qu’ils sont appelés à rendre? La force du dévouement n’a-t-elle point même quelquefois calmé et dominé chez eux la ré-