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volte des passions les plus difficiles à vaincre? Je serais tenté de le croire d’après ce qui m’a été raconté en Cornouaille. Un pêcheur du nom de Jim, si vous voulez, était dans sa jeunesse d’un caractère farouche et jaloux. Brave d’ailleurs, il s’était engagé dans l’équipage de l’un des life-boats qui protègent ces côtes dangereuses. Ses camarades l’avaient surnommé le taciturne. Il y avait à cette humeur sombre une cause bien simple : Jim aimait une jeune fille aimée par un autre pêcheur, et il avait bien reconnu qu’il n’était point le préféré. Il conçut contre son rival un cruel ressentiment. Ln soir que ce dernier devait revenir de la pêche, Jim se rendit au bord de la mer. C’était une nuit chargée de ténèbres et d’électricité. Jim marchait à la dérobée le long des rochers, qu’il touchait de temps en temps pour retrouver sa route. La tempête était dans le ciel ; un orage grondait dans son cœur. Enfin il s’arrêta dans un étroit sentier par lequel George, l’autre pêcheur, devait passer pour se rendre à son cottage. Les projets les plus sinistres contre son rival roulaient dans son cerveau, non moins agité que les vagues de la mer. Tout à coup le ciel, noir comme une tenture funèbre, se déchire; le tonnerre éclate sur les flots, et à la lueur de l’éclair l’œil exercé de Jim découvre une barque qui donnait des signaux de détresse. Le vent s’était élevé depuis une heure, et faisait bouillir les vagues comme l’eau dans une chaudière. Un second éclair permit a Jim de reconnaître distinctement la barque de George, qui courait le plus grand risque d’être brisée contre les récifs. Il eut un moment de joie féroce; le ciel se chargeait lui-même de servir ses vengeances; il n’avait qu’à laisser faire. Si c’était un crime, le secret en resterait à jamais enseveli entre lui-même et les élémens, devenus en quelque sorte ses complices. Cependant sa conscience lui disait que c’était une lâcheté, et il devint triste. Tout à coup il entendit à travers le vent et la pluie des voix sur la côte, dans la direction où se trouvait la maison du life-boat. Il ne douta plus que la nouvelle d’une barque perdue en mer et menacée de périr ne fut arrivée aux oreilles de ses camarades. Il les vit en esprit s’élancer dans le canot de sauvetage, car les braves marins mettent en pareil cas à risquer leur vie le même empressement que d’autres apportent à la conserver. Sa place allait être prise dans le bateau. La voix du devoir et de l’honneur venait de parler; il n’hésita plus, et courut vers la station du life-boat. Au moment où il arriva, le bateau était plein; un autre tenait la rame qui lui appartenait de droit; il la lui arracha des mains, en proie à une sorte de fureur. Le canot fut lancé ; mais on ne découvrit aucune trace du naufrage. La barque avait sans doute chaviré ou avait été mise en pièces contre les rochers. Le life-boat revenait découragé, quand, à la lueur des éclairs qui ne cessaient