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tions actuelles, trouver facilement à employer leurs bras, la besogne ne manque pas; s’ils doivent au contraire laisser envahir les chantiers par des ouvriers étrangers, quel avantage en pourront-ils retirer?

Mais si Ajaccio ne paraît pas pouvoir devenir jamais un port militaire, rien n’empêche qu’il ne devienne quelque jour un port de commerce important et un arsenal maritime industriel. Ce n’est pas là toutefois un genre d’établissement dont la création dépende d’un vœu du conseil-général, ni même de la bonne volonté du gouvernement. Un chantier de construction ne saurait s’improviser; il s’établit naturellement dans les villes où le commerce maritime est assez actif pour exiger de nombreux navires. Vouloir en créer un dans les ports qui n’ont pas de marchandises à transporter, c’est commettre une bévue semblable à celle de ce spéculateur anglais qui imagina un beau jour d’expédier une cargaison de patins au Mexique, où la glace est inconnue. Si la Corse veut un établissement de ce genre, ce n’est pas au gouvernement qu’elle doit le demander, mais au développement de son commerce et de son industrie. Malheureusement les habitans n’ont pas l’esprit des affaires, et la mer semble leur faire horreur. Bien peu d’entre eux y cherchent leurs moyens d’existence, et je ne crois pas que les cadres de l’inscription maritime comptent le dixième de ceux qui s’engagent volontairement dans l’armée de terre. La pêche du corail et le cabotage sont presque exclusivement entre les mains des Sardes; les Corses ne s’y adonnent qu’exceptionnellement et négligent ainsi une importante source de profits. Qu’ils surmontent leur répugnance, qu’ils prennent goût aux expéditions lointaines, qu’ils se familiarisent avec les opérations commerciales, et, sans que l’état ait besoin de s’en mêler, on verra bientôt des chantiers de construction s’élever à Ajaccio, car nulle ville n’est mieux située pour devenir un des centres importans du commerce méditerranéen. Son golfe magnifique, entouré d’un triple rang de montagnes qui l’abritent presque de tous côtés, assez vaste pour contenir toutes les marines de l’Europe, n’est aujourd’hui fréquenté que par quelques bateaux caboteurs qui viennent apporter de France et d’Italie du blé, du fourrage, des objets manufacturés, et qui emportent comme fret de retour des peaux, des huiles et des châtaignes. Le mouvement du port n’est que de 20,000 tonneaux : c’est le chargement du Great-Eastern. On n’y voit quelque animation que le jour où le paquebot hebdomadaire de Marseille débarque son contingent de voyageurs appelés par leurs affaires sur le continent, ou lorsque la flotte d’évolution de la Méditerranée vient faire son apparition annuelle. Quand celle-ci prolonge son séjour pendant un mois ou deux, c’est une bonne for-