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doutes sur ces intrigues. Comment savoir d’ailleurs si la Rosenacker est bien digne de foi, si elle n’est pas l’instrument de quelque machination ténébreuse, si ce n’est point elle qui a servi à précipiter dans le déshonneur Johanna-Victoria? Ce qui est incontestable, c’est l’acharnement d’Aurore de Kœnigsmark contre la comtesse de Saxe. « Il faut lui lâcher la bride, avait-elle dit; elle se perdra infailliblement. » Quelque temps après, soit que la bride en effet ait été lâchée, soit que la calomnie s’en mêlât, elle adressait au roi ce rapport de police, conservé aux archives de Dresde. Il est rédigé en français; nous demandons la permission, en le transcrivant ici, de rectifier, pour la commodité du lecteur, les incorrections de langage et les fautes d’orthographe dont il fourmille.


« Sire,

« On se croit obligé de donner un avis à votre majesté en vue de l’intérêt qu’elle y pourrait prendre, dût-il ne lui servir qu’à titre d’information fidèle. Mme la comtesse de Saxe, après le départ du comte son mari, continuant son train de vie avec d’autant moins de précaution qu’elle espérait ne pas le voir revenir de plusieurs années, fit un voyage incognito à Leipzig à la dernière foire de Pâques, où elle retrouva le page déserteur du comte son mari, nommé Iago, qui déserta mal à propos de chez le comte l’année passée, sans qu’on ait pu en pénétrer la raison. Ce page parut à Leipzig dans un équipage de prince très magnifique, en habits et en livrée, avec plusieurs chevaux de main, les uns plus beaux que les autres. Mme la comtesse lui permit accès auprès d’elle dans son incognito; elle consentit même à ce qu’il la suivît à sa terre de Schœnbrunn, en Lusace, où il fut reçu avec beaucoup de distinction, mangeant et jouant avec elle, honneur qu’il ne pouvait mériter ni comme page déserteur, ni comme servant au régiment d’Hammerstein des troupes prussiennes. Ces plaisirs et faveurs, dont les domestiques se scandalisèrent beaucoup, continuèrent pendant près de six semaines, jusqu’à ce que la nouvelle du prochain retour du comte arriva, qui leur causa une grande épouvante. Iago se sauva le plus tôt qu’il lui fut possible, et Mme la comtesse plia sa toilette peu de jours après, sous prétexte d’aller voir un de ses cousins en Silésie; mais, comme le page l’attendait à Liegnitz, où il lui avait fait arrêter des appartenions, on craint avec raison qu’ils ne poussent le voyage ensemble jusqu’à Breslau. Ce jeune homme marche dans une chaise à six chevaux, environné de fusils et de pistolets pour tirer plus de vingt coups de sa chaise : marque évidente qu’il craint d’être attrapé. Un voyage si scabreux pour l’honneur du comte ne peut qu’avoir des suites très fâcheuses... »


Cette dénonciation dut être communiquée par ordre du roi à la comtesse de Saxe, car nous voyons qu’elle y répondit dans un long mémoire adressé à Frédéric-Auguste : elle affirme que tous les faits qu’on lui reproche ont été inventés ou falsifiés par ses ennemis. Elle