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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/462

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n’entrerez en scène qu’au dernier acte, où votre présence est au moins indispensable.

Ce flegmatique railleur parlait de cette affaire avec tant d’assurance que je le soupçonnais d’être déjà d’accord avec ma famille et d’avoir l’assentiment du marquis pour ce mariage. Ce qui me confirma dans cette idée, ce fut une lettre de ma mère que je reçus le jour même. Elle me priait de revenir en toute hâte : mon père, malgré son énergie, avait été brisé sous le coup de son malheur ; on tremblait pour sa raison. Lorsque je le revis, il avait vieilli de dix ans, ce n’était plus qu’un débris, la lumière intérieure paraissait éteinte en lui. Il m’embrassa froidement et d’un air distrait ; mon cœur se serra, et quand je me trouvai seul avec ma mère, j’éclatai en sanglots. J’écrivis alors au baron que rien ne me paraissait plus sensé, dans la position où je me trouvais, qu’un mariage avec Mlle Chantoux, et je lui donnais carte blanche. J’ajoutai que je serais à Paris sous peu de jours pour lui soumettre mes conditions, et, tout en le laissant dans l’incertitude sur la teneur de ces conditions, je lui avouai que très certainement elles lui paraîtraient bizarres, mais que, quoi qu’il en pût dire et penser, j’étais résolu à tout abandonner plutôt que d’en démordre.

Je suivis de près ma lettre, et le jour même de mon arrivée le baron vint chez moi. Il m’aborda avec cet air de haute satisfaction qui, dans la circonstance, me paraissait la plus cruelle des ironies. Tout en me serrant la main, il me demanda quand je voulais être présenté à la famille Chantoux.

— Quand il vous plaira, lui dis-je, mais le plus tôt sera le mieux. Abrégeons, s’il vous plaît, tous ces préliminaires irritans.

Le baron croisa les bras sur sa poitrine, rejeta sa tête de côté, et avec une indignation comique :

— Vous êtes vraiment bien à plaindre ! et je n’ai jamais vu de garçon plus étrange que vous : on vous donne une fille charmante…

— Mais je la hais, interrompis-je ; elle achète avec sa dot mon nom et mon titre. C’est bien ! elle aura ce nom et ce titre de comtesse, puisqu’elle le paie, mais elle n’aura rien de plus, je vous le jure. Et ici entendons-nous bien, s’il vous plaît.

— Nous voici à ces conditions bizarres dont vous m’avez parlé dans votre lettre. Voyons, j’attends.

— C’est une affaire d’honnêteté, baron ; je ne veux pas de surprise. Connaissez-vous l’histoire de la duchesse de Caulne ?

— Cette vieille folle qui, enfermée dans un de ses châteaux près d’Évreux, passe sa vie à commenter Aristophane ?

— Qu’elle passe sa vie à commenter Aristophane, peu nous importe. La duchesse épousa contre son gré un homme dont le carac-