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je m’attendris, je raille, j’aime et je hais avec un entraînement que je ne porte pas dans le domaine du réel. Dans cette circonstance délicate, je dialoguais en esprit, tantôt avec la comtesse et tantôt avec le baron. Tout à coup je les aperçus l’un et l’autre qui s’avançaient vers moi de l’extrémité d’une allée. Le baron s’en allait d’un pas assuré ; la démarche de la comtesse trahissait le trouble de son esprit. Elle était enveloppée dans une pelisse fourrée qui dessinait sa taille et lui serrait les bras. Sa tête pâle, aux traits accentués, se détachait avec une grâce un peu fière sur son col de zibeline. Lorsque je l’abordai, mon embarras trop visible ne fit qu’augmenter le sien. C’est elle qui parla la première. L’entretien tomba naturellement sur mon voyage : je lui donnai quelques détails sur Londres et sur les Anglais, que dans mon émotion, faute de mieux, je déclarai insupportables.

— Et les Anglaises, qu’en pensez-vous ? me dit-elle en souriant, Je n’avais pas prévu cette question, et je crois que je rougis, car elle-même se troubla. J’allais répondre lorsqu’elle reprit la parole.

— À propos, êtes-vous allé voir miss Olympia, ma douce Olympia ?

— Je n’y ai pas songé, madame, et vous me pardonnerez, ne fût-ce que pour ma franchise à confesser ma négligence.

— Vous avez eu tort ; elle vous aurait réconcilié avec les femmes. C’est une autre moi-même, ma meilleure amie, ma seule amie, veux-je dire. Elle vous aurait plu, j’en suis sûre.

— En effet, me dis-je avec amertume, elle m’aurait plu, puisque c’est une autre comtesse de Saverne.

La jeune femme dut deviner ma pensée, car je sentis sa main trembler sur mon bras.

Je me mis à parler à l’aventure, mais d’un ton si brusque que mes moindres paroles devenaient blessantes. La comtesse ne me répondait pas ; elle regardait à ses pieds, comprimant les violens soupirs qui l’étouffaient. Pauvre Camille ! je vis des larmes dans ses yeux. Un mot du cœur, un seul mot, eût balayé tous ces nuages : ce mot, je ne le trouvai pas. Je restai muet. En présence de cette attitude implacable, la comtesse eut honte de sa faiblesse ; elle se tourna vers moi, et, s’efforçant de sourire : — La nature, dit-elle, l’a emporté sur ma volonté ; mais je vous jure, monsieur, que ce sont les dernières larmes que vous verrez couler de mes yeux. Je ne dois pas attrister votre séjour ici. Je serai gaie… Je suis naturellement gaie. Je me persuaderai que je suis heureuse. Et en effet ne le suis-je pas ?… Mais j’ai la tête si faible : un rien m’amuse ou m’attriste. Je suis à la merci de toutes les choses extérieures ; le parfum d’une fleur, un nuage qui passe, le vent qui se plaint, l’oi-