Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/487

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

j’avais perdu tout sentiment de l’existence. De temps à autre il me semblait voir un visage de femme se pencher sur moi, et je ressentais dans ces momens-là un bien-être indéfinissable. Parfois aussi, quand ma tête se dégageait, il me semblait entendre causer à voix basse dans la chambre. Était-ce hallucination ou réalité ? Dans l’atmosphère fiévreuse qui m’entourait, j’ai cru voir le visage effaré de la jeune miss de Greenwich, j’ai revu ses yeux bleus, son sourire ; j’ai respiré le parfum léger qui s’exhalait des boucles de ses cheveux, et cependant mon esprit n’était déjà plus à la poursuite de ce lutin qui m’avait révélé la femme ; je me sentais attiré d’un autre côté avec une violence qui paraissait en raison directe de la faiblesse de mes organes. Je m’étais endormi indifférent, ou tout au moins croyant l’être, et je m’éveillais dans l’enivrement d’un amour dont aucun terme ne peut rendre la douceur.

Une nuit, le cercle de fer qui comprimait mes tempes se détend et se brise, ma poitrine se dilate ; j’entends à mes côtés la respiration d’une femme. Je parviens à me soulever, et dans l’obscurité je reconnais la comtesse, qui de lassitude s’était endormie sur mon oreiller. Je contemple cette tête jeune et pâle, ces cheveux dénoués qui retombent sur son cou et ses épaules, ces grands yeux fermés, cette main qui s’avançait vers moi blanche et fine, et qui est demeurée sur le bord du lit. Je veux appeler Camille, mais ma voix trop faible me trahit. Je me penche sur la comtesse, je la baise au front, et je me rendors auprès d’elle d’un doux sommeil qui dura le reste de cette nuit et une partie de la matinée.

Lorsque je m’éveillai, le docteur me tâtait le pouls : — Vous l’avez sauvé, dit-il tout bas à Camille, qui l’interrogeait d’un regard inquiet. À ces mots, je la vis pâlir et tomber sur un siège ; puis, ne pouvant contenir son émotion, elle se prit à pleurer. Je compris que ces larmes étaient des larmes de joie, et je savourai pour la première fois de ma vie le charme de me sentir aimé. Je fis signe à la comtesse d’approcher : — Camille, lui dis-je, allez prendre un peu de repos. Je me trouve bien. George me soignera pendant que vous réparerez vos forces. Elle obéit et se retira, après avoir jeté sur moi un de ces regards où les belles âmes semblent se donner tout entières.

À partir de ce moment, mon état s’améliora d’heure en heure, et quinze jours après j’étais sur pied. Je remarquai que, depuis ma convalescence, Camille montait moins souvent dans ma chambre, et dans les derniers jours elle ne parut plus. J’en éprouvais une vague inquiétude que j’avais peine à dissimuler. Je sentais que sa présence seule eût hâté ma guérison ; mais je n’osais parler d’elle, je ne sais quelle mauvaise honte me fermait la bouche. Cependant