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REVUE MUSICALE.

GIACOMO MEYERBEER.


La mort impitoyable, qui depuis quelques années frappe les têtes les plus illustres, vient de trancher les jours d’un grand compositeur dramatique : Meyerbeer a succombé le 2 mai, entre quatre et cinq heures du matin. Souffrant depuis longtemps d’une affection des intestins, il avait été obligé de se mettre au lit le 22 avril. Il n’a pu se relever, et il a expiré doucement, sans souffrance. Il a eu la consolation d’embrasser ses deux filles, qui étaient accourues de Bade, où elles passent une partie de l’année. Le testament du maître illustre est déposé chez un notaire à Berlin; mais immédiatement après l’instant suprême on s’est empressé de chercher si Meyerbeer n’avait pas laissé quelques dispositions, et l’on a trouvé dans un portefeuille de voyage un pli cacheté, avec cette suscription : Pour être ouvert après ma mort. Ce pli renfermait un écrit en allemand, de la main du défunt, et dont voici la traduction littérale :

« Je veux que les points suivans soient observés après mon décès.

« On doit me laisser couché sur mon lit, la figure découverte, tel que j’étais avant de mourir, pendant quatre jours, et le cinquième jour on pratiquera des incisions sur l’artère brachiale ainsi qu’au pied, après quoi on conduira mon corps à Berlin, où je veux être enterré dans la tombe de ma bien-aimée mère. Si la place y manquait, je prie qu’on me couche auprès de mes chers enfans, morts à un âge peu avancé. « 

Cela est touchant, et les larmes tombent des yeux quand on transcrit ces paroles qui sortent d’une âme divinement inspirée. Meyerbeer ajoute :

« Si je devais mourir loin des miens, on se conformera aux mêmes dispositions, et deux gardiens veilleront sur mon corps jour et nuit, afin d’observer si je ne donne aucun signe de vie... Si, par l’effet des circonstances, je dois être transporté dans une maison d’observation (Leichenhaus), on me mettra, comme c’est l’habitude, de petites sonnettes aux mains et aux pieds, afin de tenir le gardien en éveil.

« Ayant toujours redouté d’être enterré vivant, j’ai voulu, par les dispositions qui précèdent, empêcher tout retour à la vie.

« Que la volonté de Dieu soit faite, et que son nom soit béni dans le ciel et sur la terre ! »

Ici il faut s’incliner, se taire et prier : c’est pour le moment le plus bel hommage qu’on puisse rendre à ce grand musicien. Quelques mots cependant sur la vie et sur la brillante carrière de Meyerbeer ne sont pas hors de propos.