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Le créateur puissant d’une forme de musique dramatique que la France admire depuis trente ans est né à Berlin le 23 septembre 1791. C’est la nouvelle date donnée récemment par la famille. Meyerbeer avait deux frères, dont l’un, Guillaume, fut un astronome célèbre, et l’autre, Michel, qui est mort dans la fleur de l’âge, promettait d’être un poète distingué. Michel Beer a écrit une tragédie, le Paria, qui a été représentée avec un grand succès. Dans ce milieu, si favorable au développement des facultés qu’il tenait de la nature, Giacomo manifesta dès l’âge de quatre ans son goût pour la musique. Il s’amusait à retenir les chants qu’il entendait jouer par les orgues des rues. Tout jeune encore, il eut un maître de piano nommé Lanska qui obtint de lui des progrès si rapides, que Meyerbeer put se faire entendre dans un concert donné à Leipzig le 2 janvier 1804. Giacomo fut accueilli avec une grande bienveillance par le public et par les journaux de la ville. L’abbé Vogler, qui se trouvait alors à Leipzig, entendit le jeune Meyerbeer, dont le talent précoce l’étonna beaucoup. Comme l’instinct de la composition se révéla assez vite chez le jeune virtuose, on le mit sous la direction de Bernard-Anselme Weber, qui était chef d’orchestre de l’Opéra de Berlin. Cet artiste intelligent, qui était un bon musicien, pouvait donner des conseils utiles sur les formes et le caractère de la musique dramatique; mais il n’avait pas les connaissances nécessaires pour apprendre à son élève cette argumentation savante qu’on nomme la fugue, qui est le fondement de l’art d’écrire en musique. Un petit épisode, raconté par M. Fétis, marque dans la jeunesse du futur compositeur. « Un jour Meyerbeer porta une fugue à son maître le chef d’orchestre; émerveillé de ce morceau, Weber le proclama un chef-d’œuvre, et s’empressa de l’envoyer à l’abbé Vogler, pour lui prouver qu’il savait aussi former de savans élèves. La réponse se fit longtemps attendre; enfin arriva un volumineux paquet qui fut ouvert avec empressement. O surprise douloureuse ! au lieu des éloges qu’on espérait, on y trouva une sorte de traité pratique de la fugue, écrit de la main de Vogler et divisé en trois parties... Weber resta confondu; mais, pour Meyerbeer, la critique de Vogler fut un trait de lumière. Tout ce qui dans l’enseignement de Weber lui avait paru obscur, inintelligible, se présenta à lui clair et presque facile. Plein d’enthousiasme, il se mit à écrire une fugue à huit parties, basées sur les principes de l’abbé Vogler, et la lui envoya directement. Ce nouvel essai ne fut pas accueilli de la même manière par le maître. — Il y a pour vous un bel avenir dans l’art, écrit-il à Meyerbeer. Venez près de moi; rendez-vous à Darmstadt, je vous y recevrai comme un fils, et je vous ferai puiser à la source des connaissances musicales. »

Ravi de cette invitation, le jeune musicien, après avoir obtenu la permission de sa famille, accourut à Darmstadt, où l’abbé Vogler l’accueillit avec une grande bienveillance. Ce maître célèbre dans toute l’Allemagne avait déjà formé plusieurs compositeurs distingués, tels que Winter, Ritter