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80 centimes en Savoie; elle a monté aujourd’hui à 1 fr. 50 cent, et même 2 fr., ce qui est encore du bon marché relativement à bien d’autres départemens viticoles, où elle dépasse 3 fr. La production moyenne de l’hectare dans les deux départemens est de 40 hectolitres pour les vins communs, de 30 pour les vins de choix. Sur les vignobles du Salève et du Môle, cultivés à la manière suisse, elle atteint 80 hectolitres. Les 15,000 hectares en vigne basse, qui n’occupent que le soixante-sixième de la superficie productive, emportent le huitième de la valeur vénale du sol dans l’estimation cadastrale. On voit par ce rapprochement l’importance de la viticulture en Savoie.

Le ban des vendanges existe encore sur tout le vignoble non clos. Cette formalité ancienne s’accomplissait autrefois en grand appareil, avec l’intervention des magistratures locales, qui allaient visiter les vignes et goûter le raisin en costume bariolé. L’attrait du spectacle faisait oublier aux vignerons ce que la formalité avait de gênant. Le spectacle a disparu, mais le règlement, l’antique règlement subsiste, et pas plus qu’au temps du gouvernement paternel il n’est permis de toucher à son raisin avant que l’infaillible arrêté municipal ait proclamé à son de trompe qu’il est mûr à point. On demande de toutes parts l’abolition de cet usage au nom du progrès de la viticulture. N’est-il pas en effet bien embarrassant pour le vigneron qui veut innover, essayer d’un plant hâtif ou d’un plant tardif, faire son vin avec un raisin plus ou moins mûr, d’avoir à se conformer, sous peine d’amende, à l’arrêté qui fixe le jour de la récolte? Le meilleur juge en cette affaire, n’est-ce pas celui qui a dirigé ses opérations de culture en vue de tel ou tel résultat? Et s’il s’est proposé du verjus, n’est-il pas libre de faire du verjus? Les partisans du ban répondent que le vigneron ne peut user de sa liberté sans nuire à son voisin. Cette réponse a une force particulière en Savoie, où la propriété est excessivement morcelée. Le vignoble est une mosaïque composée de petits carrés enclavés les uns dans les autres, sans clôture ni dévestiture, dépendans et soumis à une mutuelle servitude. On comprend les inconvéniens d’une vendange abandonnée à l’initiative individuelle au milieu de ce morcellement indéfini de la propriété viticole.

L’extrême division du vignoble a des causes particulières dans les mœurs du pays. Un carré de vigne est considéré comme l’appendice nécessaire d’une propriété territoriale bien assise, dans quelque région que celle-ci soit située. De la montagne et de la plaine, les mains se tendent et les capitaux affluent vers l’étroite zone où la vigne prospère. C’est surtout dans la région supérieure, où elle ne croît plus, que l’on ambitionne la vigne. Il est peu de