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tution. Dans un temps où la vieille Europe se transformait de toutes parts, l’Allemagne a fait de mauvais rêves : créée pour une mission conservatrice et toute de résistance, elle a cherché autour d’elle où dépenser, sans trop de péril, un excès de force qui lui montait à la tête. Or il faut avouer que la situation géographique du malheureux Danemark était bien faîte pour exciter son humeur : il l’étouffe dans la Baltique, et, lui fermant l’accès de ses côtes, il l’empêche de s’étendre sur la Mer du Nord; il accapare pour lui seul tous les meilleurs ports en lui laissant les plus mauvais; il nourrit dans les innombrables golfes de ses îles toute une population de bons et hardis matelots qu’il anime de son esprit intelligent et libre. Jalouse de tels avantages, pourquoi l’Allemagne, elle aussi, ne réclamerait-elle pas, comme on l’a dit, le droit à la mer? Quand on est une grande race, une grande nationalité, par le temps qui court, on ne se refuse rien. Cette ambition serait légitime, et dominerait même, à notre sens, la doctrine étroite de l’équilibre européen, si l’Allemagne devait tirer de son propre fonds cette nouvelle puissance. Qu’elle réagisse contre la géographie et contre la nature, qu’elle transforme, si elle le peut, ses rivages, ses ports et les aptitudes de ses populations côtières, ce sera une richesse de bon aloi qui viendra s’ajouter à sa grandeur, et de laquelle nul ne pourra médire; mais lorsque des marines secondaires et respectables comme celles des états scandinaves subsistent au grand profit de l’Europe, il n’est pas légitime qu’elle leur ravisse leurs principaux élémens de prospérité pour les exploiter à son avantage exclusif.

Une guerre contre le Danemark pouvait en apparence conduire l’Allemagne vers l’accomplissement de ses desseins maritimes; elle lui donnait en outre l’occasion, dont elle avait besoin, de batailler et de se mouvoir, surtout elle lui procurait la douce illusion de se croire intérieurement unie. L’unité de l’Allemagne! voilà un autre rêve qui tourmente depuis bien longtemps les esprits au-delà du Rhin. C’est un grand sujet de dépit, dans cette époque de centralisation puissante, de ne pouvoir obtenir cette bienheureuse unité. L’Allemagne la poursuit incessamment; les vastes plaines des duchés la lui montrent, mais ce n’est qu’un mirage, car l’unité allemande, si elle est possible, ne sera que la récompense d’un long travail intérieur ou de sacrifices patriotiques à la suite de quelque grande épreuve héroïquement subie; une guerre imméritée contre un faible ennemi ne saurait l’enfanter.

Il n’y a qu’une seule bonne raison, mais il y en a une parmi celles qui expliquent la passion infatigable de l’Allemagne : c’est le sentiment de la race, qui, après s’être manifesté longtemps au-delà du Rhin d’une manière incomplète et confuse par de vagues efforts vers l’unité nationale, se traduit plus précisément aujourd’hui dans une révolte formelle contre certaines entraves constitutionnelles et légales. Le duché de Holstein est tout allemand, il fait partie de la confédération germanique; cependant la diète de Francfort n’y exerce pas une autorité directe et franchement re-