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tain calcul d’amour-propre et un parti-pris ; mais, pour peu qu’on eût pratiqué cet homme si invariablement semblable à lui-même, le moyen de persister dans une pareille erreur? Soit dans les réunions officielles où s’agitaient les questions relatives à l’art contemporain, soit dans le cercle de ses amitiés, il avait le même éloignement pour tout ce qui pouvait le mettre en vue, la même crainte du premier rang, le même besoin de trouver partout des égaux et de se confondre dans la foule. Il fallait bien alors ajouter foi à une aussi opiniâtre modestie, et, — j’en appelle à ceux qui ont vu de près Flandrin à toutes les époques de sa vie, — ne reconnaître dans de telles habitudes qu’un exemple de la plus rare indulgence pour les autres et de la plus naïve injustice envers soi.

Qu’on ne se méprenne pas néanmoins sur l’étendue de cette indulgence, sur les caractères de ce désintéressement. Si bienveillant qu’il fût à l’égard des personnes, quelque inclination qu’il eût à s’effacer derrière ceux-là mêmes qu’il dépassait de beaucoup par l’importance acquise et par le mérite, Flandrin n’hésitait ni à s’élever contre les tentatives, ni à condamner les faits où il voyait une atteinte à ses convictions les plus chères, aux principes qu’il avait la mission de défendre, de maintenir ou de propager. Lorsque, il y a peu d’années, des restaurations imprudentes eurent compromis l’existence de quelques-uns des chefs-d’œuvre conservés dans le musée du Louvre, lorsque, après les tableaux de Rubens, de Cima da Conegliano, de Palma et de plusieurs autres maîtres, le Saint Michel de Raphaël lui-même eut subi les violences d’un nettoyage sans merci, Flandrin déplora ces irréparables malheurs avec une énergie d’autant plus remarquable qu’elle démentait mieux sa circonspection habituelle et les ménagemens dont il usait là où il n’y avait en cause que des affaires d’amour-propre ou des questions toutes personnelles. Il y a quelques mois à peine, non-seulement il refusait de s’associer à des mesures qu’il jugeait dangereuses, mais, avec un zèle qu’il n’aurait certainement pas apporté à la défense de ses propres intérêts, il travaillait à détourner au profit de tous, à conjurer autant qu’il se pourrait, les conséquences extrêmes des principes qui venaient de prévaloir. — Hélas! ces efforts pour signaler les erreurs où l’on était tombé, pour mettre à l’abri ce qui pouvait être sauvé encore, ces efforts ont été les derniers de sa vie. Encore quelques mots avant d’aborder cette période finale, et nous aurons achevé d’indiquer les traits qui nous semblent caractériser la physionomie morale de Flandrin, ou plutôt qui en résument les apparences générales, sans en définir pour cela toutes les délicatesses ni tous les charmes.

Que de détails en effet n’aurait-il pas fallu examiner de près et