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se parlaient dans les Gaules. La poésie, qui florissait dans le midi sous l’influence d’un soleil presque italien, ne put sauver les idiomes de ces contrées de la déchéance qui les menaçait. Les lettres ne suffisent pas à donner la suprématie aux peuples; il faut qu’ils joignent à la culture de l’esprit l’énergie morale. Malgré sa lourdeur, malgré l’indécision de ses formes, le français dut régner dans les Gaules, et il y acquit une prépondérance croissante à mesure que les rois de France ajoutaient une province de plus à leur couronne : d’où il suit que les fondateurs de l’unité française furent aussi les fondateurs de la langue que nous parlons aujourd’hui.

Il y a donc un grand intérêt à considérer notre langue française sous le triple point de vue de ses origines, de son développement et de ses patois, puisque en réalité l’histoire d’un idiome est celle de la nation au sein de laquelle il a pris naissance. Quant aux origines, personne n’ignore qu’il faut aller les chercher le plus souvent par-delà le latin, par-delà le grec, jusque dans la vieille langue des Védas; mais, avant d’arriver jusqu’à nous, combien ces radicaux primitifs se sont modifiés! A l’époque où les Aryens campaient sur les bords de la Mer-Caspienne, leur langue, encore peu développée, possédait déjà un ensemble de verbes suffisant pour exprimer toutes les pensées. Quand ce peuple pasteur se mit en marche pour accomplir les grandes destinées qui lui étaient réservées, les tribus qui le composaient se séparèrent en deux rameaux principaux; l’un, s’avançant vers le sud-est, traversa l’Asie centrale, et se répandit dans toute l’Inde depuis la presqu’île jusqu’aux frontières du pays de Siam; l’autre, se dirigeant vers le nord-ouest, alla se fixer dans la Perse, et déborda bientôt jusque dans l’Asie-Mineure. Puis, à des époques dont l’histoire a perdu le souvenir, des hordes parties, elles aussi, des environs de la Mer-Caspienne, émigrèrent par le Caucase, et pénétrèrent en Europe, celles-ci par l’extrême nord, celles-là par le Danube. Le premier rameau devait conserver dans son intégrité la vraie langue de la race aryenne, le sanskrit, qui allait se développant toujours, à mesure que l’imagination de ces enfans du nord s’exaltait à la vue des grands fleuves et des montagnes gigantesques de leur nouvelle patrie. De chaque radical monosyllabique jaillissaient en gerbes abondantes de nouvelles formes grammaticales, nées du besoin qu’éprouvaient les Aryens d’exprimer tout ce que la vue des phénomènes naturels éveillait de pensées inconnues dans leur esprit compréhensif et enthousiaste. Ce fut le soleil de l’Inde qui fit éclore d’abord, puis arriver à son épanouissement complet la langue sanskrite, la plus achevée, la plus logique, la plus rigoureusement euphonique de toutes celles qui ont été parlées sur la terre. Le second rameau semble ne pas avoir