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cet autre mal formé : aller, monter à cheval ; puis on a dit cavalcader, qui exprime l’idée de chevaucher avec grâce, et cavalcade, troupe de gens qui parcourent les rues d’une ville à cheval, en habits de fête et par plaisir. Ces mots nous venaient du Midi, des pays rians où l’on aime les divertissemens publics; mais monter à cheval constitue un art : ce sera au latin, plus sérieux et plus grave, que l’on demandera un mot pour l’exprimer, et l’on a eu équitation. Par-delà l’idée d’art, il y a l’idée de science ; ce qui se rapporte à la science du cheval sera tiré du grec, l’hippiatrique, la science hippique. Enfin, s’inspirant des souvenirs épiques et héroïques de la Grèce, terre classique des grands combats et des demi-dieux, le sporstman français s’élancera en costume de jockey sur la piste d’un hippodrome.

Ces exemples, que l’on pourrait multiplier à l’infini, ne font-ils pas ressortir le côté défectueux de notre langue? L’impossibilité de créer des mots est sa grande infirmité, et cette infirmité contraint celui qui écrit à sortir toujours de chez soi pour aller chercher ailleurs ce qui lui manque, sans savoir si le peuple pourra le suivre en pays étranger. Les Anglais et les Allemands jouissent d’une bien plus grande liberté : ils peuvent former des composés, ceux-ci à la manière ancienne, ceux-là par juxta-position. Dans la langue anglaise, le composé ne vit pas, il demeure à l’état inerte; encore est-il debout et doué d’une forme intelligible et palpable. Dans la langue allemande, il y a véritablement un mot greffé sur un autre, et tous les deux ils ont la vie, parce que les Germains, fidèles à l’ancien type, ont conservé tout le système des grammaires anciennes. Pour nous consoler de ce qui nous manque de ce côté, nous nous vantons d’avoir pour nous la clarté, et c’est bien quelque chose. Avouons cependant que cette qualité précieuse nous coûte un peu cher. Chez nous, pas d’inversions, point de ces formes de langage abruptes, passionnées, d’où l’idée principale jaillit dès la première syllabe comme l’éclair. Nous ne pouvons nous permettre qu’en poésie, — et encore! — ces façons de dire elliptiques, hardies, où le cri du cœur éclate librement, sans être étouffé par les appendices analytiques propres à notre langue. Notre grammaire, guindée et soumise aux lois de la plus rigoureuse étiquette, nous défend de déranger un certain ordre établi par l’usage : le substantif a le pas sur l’adjectif, comme le maître l’a sur le valet; le verbe ne viendra qu’après lui, afin que l’on sache bien le nom et les qualités de celui dont il détermine l’action. Ainsi le veulent les règles de la préséance grammaticale! Nous en sommes arrivés là à force d’analyse, par le désir, louable sans doute et un peu vaniteux peut-être, d’être entendus et compris du monde entier. Nous avons réussi, donc nous