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sance assez générale dont elles jouissent, et qui se révèle par différens signes, en particulier dans l’habillement et dans la manière dont sont tenues les habitations. Les ouvriers, le dimanche, ceux des campagnes lorsqu’ils descendent à la ville, comme ceux de Morez et de Saint-Claude, portent un habit ou une redingote, jamais de blouse. Naturellement les femmes s’habillent avec une recherche plus grande encore, et que certains frondeurs du pays trouvent même exagérée. La propreté des logemens n’est pas moins significative ; les ménages n’offrent nulle part cet air de délabrement, ces traces de négligence qui dans d’autres localités affectent si péniblement le regard. J’y ai vu régner le bon ordre alors même que certaines circonstances douloureuses auraient pu expliquer un certain abandon. Entrant un jour, à Saint-Claude, dans un logement qui se composait d’une chambre assez vaste, servant à la fois d’atelier, de cuisine et de chambre à coucher, je trouvai le maître de la maison à son travail, silencieux et pensif ; près de lui, un jeune enfant de trois ou quatre ans, assis sur un escabeau, regardait sans rien dire. Il s’était fait un vide dans cette demeure ; l’enfant venait de perdre sa mère. Avec elle s’en étaient allés le mouvement, la joie, le bonheur, et néanmoins les habitudes soigneuses étaient restées, et chaque chose était à sa place.

Une stricte économie est nécessaire dans les ménages, surtout en présence de l’augmentation survenue, ici comme ailleurs, dans le prix de toutes choses, pour mettre en équilibre les recettes et les dépenses. L’ouvrier de la ville le plus favorisé, celui qui gagne 3 francs 50 centimes par jour, ne touche en définitive pas plus de 80 francs par mois, défalcation faite des dimanches et de quelques inévitables chômages. Son logement lui coûte de 90 à 120 francs à l’année. Il faut donc que tous les autres besoins soient couverts avec 70 ou 72 francs par mois, somme bien exiguë pour l’ouvrier ayant plusieurs enfans en bas âge[1], et que sa femme, en ce cas-là, ne peut guère aider dans son travail, A la campagne, où la vie n’a pas les mêmes exigences qu’à la ville, où le pain est plus noir et la viande infiniment plus rare, on éprouve moins de gêne, les besoins et les frais journaliers étant moindres. Souvent le tourneur, plus souvent l’horloger de la montagne est propriétaire de la petite maison qu’il habite. Accoutumée à l’économie, cette population a vivement accueilli les institutions qui favorisent l’épargne ou l’assistance mutuelle. Les chômages volontaires, qui, dans certaines localités, causent tant de mal, sont ici des faits absolument exceptionnels. Il faut en dire autant des dissipations périodiques où va parfois s’engloutir en un jour le salaire d’une semaine, d’un mois

  1. Si l’ouvrier est obligé de mettre un enfant en nourrice, il lui en coûte 15 fr. par mois dans la montagne.