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Dans un cadre ainsi formé, avec de pareilles dispositions et de pareilles aptitudes, unies d’ailleurs à un sentiment d’indépendance qui suppose une réelle dignité morale, le système du travail à domicile apparaît sous des couleurs singulièrement séduisantes. Il est ici en pleine possession de tous ses avantages. Dans la circonscription propre à la fabrique de Morez et à celle de Saint-Claude, le rayon est assez restreint pour permettre à l’ouvrier d’entrer en rapport direct avec la maison d’où lui vient sa besogne. Or c’est là une condition d’une importance sans égale. Lorsqu’on est obligé au contraire, à raison des distances, comme dans la plupart de ces pays de tissage dont nous parlions tout à l’heure, de recourir, pour la répartition du travail, à un intermédiaire désigné communément sous le nom de facteur, oh ! alors naissent en foule des inconvéniens et des périls dont l’organisation des districts industriels du Jura ne saurait donner aucune idée. Traitant avec des individus éparpillés sur un territoire étendu, qui ne se connaissent pas les uns les autres, dont la situation est toujours plus ou moins gênée, le facteur a tous les moyens de peser sur les salaires et d’en abaisser le taux à son profit. Au besoin, il passe sans laisser d’ouvrage à ceux qui se montrent trop exigeans, bien sûr de les trouver plus dociles une autre fois, après l’épreuve de la misère. Le travail à domicile équivaut dès lors à un marchandage dans la plus mauvaise acception du mot; simple tâcheron comme on dit dans l’industrie du bâtiment, l’ouvrier est exposé à voir s’amoindrir son salaire à mesure que grossit sa tâche.

D’autres conséquences sont à prévoir dès que l’on veut mettre en parallèle, au point de vue des nécessités économiques et sociales du temps, le système du travail à domicile et celui du travail en atelier. Croire que le premier de ces régimes renferme la solution des difficultés industrielles contemporaines, ce serait supposer que l’application dépend de la volonté pure et simple des individus. Or rien de moins exact. Tandis que certaines régions, certaines industries peuvent s’y adapter, d’autres y répugneraient invinciblement. Est-il donc si difficile d’ailleurs de s’apercevoir que, dans la généralité de ses tendances, l’industrie vise à une concentration de plus en plus prononcée? Lois de la concurrence, nécessités de la production en grand, aspiration vers le bon marché, tout l’y pousse, et sur une pente impossible à remonter. La trace de cette irrésistible influence se retrouve, comme on l’a vu, dans les plus récentes innovations accomplies à Morez et à Saint-Claude. Dès que la machine s’installe quelque part, elle entraîne une agglomération plus ou moins rapide. Or de sa nature même elle est souverainement envahissante. Parmi les causes qui élargissent incessamment sa sphère d’action, il en est une surtout bien propre à lui garantir une