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scientifique. Le but du Collège de France étant moins de fournir une série complète de cours que de maintenir la grande tradition des recherches de première main, les leçons du professeur, pour un grand nombre d’enseignemens, ne devraient constituer qu’une partie de ses devoirs. Le Collège de France n’a jamais été plus florissant qu’à l’époque où il n’avait pas de bâtiment à lui[1], et où chaque professeur réunissait à son domicile les disciples désireux de l’entendre. L’essentiel serait que l’homme voué à une série de recherches nouvelles formât autour de lui une école qui travaillât sous sa direction. Les laboratoires atteignent très bien ce but pour la chimie, la physique, les sciences naturelles. Peut-être pour l’enseignement philologique serait-il opportun de créer quelques bourses « d’auditeurs pensionnaires, » qui permettraient à des jeunes gens studieux de suivre durant un certain nombre d’années des études qui sont d’abord complètement improductives. La vie modeste du jeune savant étant devenue beaucoup plus difficile depuis les récentes transformations de la vie parisienne, il s’ensuivra un grand déchet pour la haute culture, si on n’y porte remède par des précautions sagement ménagées.

À plusieurs, de tels soucis pour des études en apparence humbles et obscures paraîtront superflus. Le grand danger de nos sociétés, ce sont les courtes vues. On ne songe qu’à un seul âge. « Depuis cinquante ans, a dit très bien M. Biot[2], les sciences physiques et chimiques ont rempli le monde de leurs merveilles. La navigation à vapeur, la télégraphie électrique, l’éclairage au gaz et celui qu’on obtient par la lumière éblouissante de l’électricité, les rayons solaires devenus des instrumens de dessin, d’impression, de gravure, cent autres miracles humains que j’oublie, ont frappé les peuples d’une immense et universelle admiration. Alors la foule irréfléchie, ignorante des causes, n’a plus vu des sciences que leur résultat, et, comme le sauvage, elle aurait volontiers trouvé bon qu’on coupât l’arbre pour avoir le fruit. Allez donc lui parler d’études antérieures, de théories physiques, chimiques, qui, longtemps élaborées dans le silence du cabinet, ont donné naissance à ces prodiges. Vantez-lui aussi les mathématiques, ces racines génératrices de toutes les sciences positives. Elle ne s’arrêtera pas à vous écouter. À quoi bon des théoriciens ? Lagrange, Laplace, ont-ils créé des usines ou des industries ? Voilà ce qu’il faut ! Elle ne veut que jouir. Pour elle, le résultat est tout ; elle ignore les antécédens et les dé-

  1. Il importe en effet d’observer que l’ancien « lecteur royal » était uniquement pensionné pour répandre et perfectionner de la façon qu’il jugeait la meilleure les études qu’il représentait. Le collège n’a commencé à avoir un local que sous Louis XIII.
  2. Journal des Savans, mars 1854, et Mélanges scientifiques et littéraires, t. er, p. 469-470.