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daigne. Gardons-nous, tous tant que nous sommes qui cultivons les sciences, de nous laisser troubler à ce bruit des exigences populaires. Poursuivons avec une invariable persévérance notre patient travail d’exploration, sans les écouter. »

C’est moins la foule ignorante qu’une médiocrité prétentieuse et mesquine qui fait le raisonnement justement blâmé par M. Biot ; mais il est très vrai que ce faux raisonnement est le véritable danger des sociétés modernes, surtout de la société française. Ce qui est brillant et actuel a chez nous trop d’avantages sur ce qui est à longue portée. La solidité en a beaucoup souffert. Certes nous savons plus de choses que le XVIIe et le XVIIIe siècle, le monde s’est pour nous infiniment élargi, l’histoire surtout, comme nous la concevons, n’a presque rien de commun avec ce qu’on appelait autrefois de ce nom ; mais la discipline intellectuelle était plus forte alors. Quelle application ! quel sérieux ! et au milieu de singulières petitesses quel goût de la vérité ! Les classes sociales étaient à quelques égards mieux ordonnées. La magistrature, le clergé, les institutions monastiques, fournissaient aux hommes laborieux d’excellentes formes d’existence. En s’obligeant à remplacer tout cela, le budget a accepté un lourd héritage. Qu’il n’y manque pas tout à fait ; que l’état fasse pour la culture scientifique ce qu’il fait pour les choses indispensables qui seraient négligées, s’il ne s’en mêlait. Les forêts disparaîtraient, si on les abandonnait à la spéculation privée ; il en faut cependant, et voilà pourquoi on les cultive comme choses d’état. Il en est de même de la haute science. Elle ne périrait pas sans doute, si l’état en France l’abandonnait : grâce à la division de l’Europe et aux bienfaisantes rivalités qu’elle porte en son sein, grâce surtout à l’initiative individuelle et aux grandes fortunes qui, en Angleterre particulièrement, sont venues en des mains intelligentes, l’avenir du libre développement de l’esprit est assuré ; mais il y va de l’honneur de notre pays. L’intime persuasion que le monde nous admire ne suffit pas : il faut prouver par des effets qu’on tient sa place dans le genre de culture d’esprit que l’Europe a définitivement préféré.

Certes il serait fort puéril d’espérer que la France modifiera son caractère ; il serait même téméraire de le souhaiter. Elle est charmante comme elle est. Aurait-on la baguette des fées, il faudrait trembler avant de toucher à ces choses complexes où tout se tient, où les qualités sortent des défauts, et où l’on ne peut rien changer sans faire crouler l’ensemble. Mais le moyen d’être vraiment soi-même n’est pas de cultiver ses défauts. La grandeur de la France est de renfermer les pôles opposés. La France est la patrie de Casaubon, de Descartes, de Saumaise, de Du Cange, de Fréret. La France a été une nation sérieuse aux époques où elle était le plus spirituelle ; on pourrait même soutenir qu’elle était plus