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vice. Il semble, donc que la petite armée pouvait définitivement compter sur la reconnaissance et sur la coopération empressée de toutes les classes du pays; mais qui peut compter en Chine sur quelque chose de certain? En même temps que les bandes rebelles s’enfuyaient de l’autre côté du fleuve, une horde non moins nombreuse et non moins redoutable s’abattait sur les campagnes de Chao-ching : c’étaient cent mille braves ou soldats impériaux ayant à leur tête le foutaï, gouverneur de toute la province du Tche-kiang. Ce haut fonctionnaire faisait depuis plus de deux ans la guerre dans le sud de la province, reprenant une ville par année. À ce compte, il eût mis vingt ans pour recouvrer le pays dont le gouvernement lui était confié; mais, fataliste comme tous les Chinois, il s’en inquiétait peu, et attendait qu’au mauvais destin, cause du triomphe des rebelles, succédât un destin plus heureux qui les fît disparaître. Son armée ressemblait à toutes les armées du Céleste-Empire. On sait que les Chinois ont des troupes permanentes très peu nombreuses, et enrôlent, quand les circonstances l’exigent, des milices locales dont l’effectif est réglé suivant les besoins. Un proverbe souvent répété dans le pays, you ming ou cheu, « il y a un nom, mais pas de choses réelles, » trouve son application pleine et entière dans cet assemblage de troupes et de milices. Les cadres des troupes permanentes comptent un grand nombre de vieillards et d’enfans que les mandarins y inscrivent pour s’approprier une partie de leur solde; quant aux milices, elles se composent des premiers venus, que l’on équipe à la hâte et que l’on arme, l’un avec un sabre, l’autre avec un fusil à mèche, l’autre avec un bambou surmonté d’un clou, et voilà des soldats! On remplace la qualité par le nombre, et l’on espère qu’à la vue d’une immense armée l’ennemi prendra peur et fuira sans combattre; mais il arrive au bout de quelques mois que les ressources du pays sont épuisées : les braves alors restent sans solde, vivent comme ils peuvent, et souvent se révoltent ou passent à l’ennemi. Ils font tout, excepté leur devoir de soldats. Tels étaient les braves du foutaï. Depuis huit mois, ils n’avaient reçu aucune paie. Ils campaient devant Kin-hoa, ville préfectorale située à soixante lieues de Chao-ching, et que les Taï-pings évacuèrent quelques jours avant de quitter cette dernière place. Les braves, abandonnant alors les districts qu’ils avaient épuisés, s’abattirent sur les riches campagnes que venaient de délivrer les Franco-Chinois. En même temps le foutaï donnait l’ordre de garder toutes les ressources pour lui et pour ses soldats, et faisait pleuvoir les réquisitions sur la ville de Ning-po. Qu’allait devenir notre contingent? Qui solderait les instructeurs, dont le traitement était en retard de plusieurs mois? Comment