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Les schistes, plus flexibles, s’étaient simplement contournés sans se rompre. On voyait ainsi sur ce point une coupe de terrain naturelle et une division bien tranchée entre deux dépôts d’âges différens. Il y avait là comme une sorte d’arête de rebroussement, un de ces points de repère auxquels se rattache le géologue dans l’étude d’une localité.

Antonio me montra vers la droite un passage étroit, un défilé portant le nom caractéristique de Serr’alta, où il y avait place à peine pour un homme, et c’est par là que nous quittâmes le versant tributaire de la Serra pour entrer dans celui de la Vezza. Nous avions atteint à cette altitude le niveau de la carrière du Giardino, située derrière nous, et qu’un pan de montagne, qui se déroulait comme un gigantesque rideau, masquait entièrement à nos regards. Il y avait quatre heures que nous montions ; le sentier, de plus en plus raide et étroit, pendait sur l’abîme, et nous avions hâte d’arriver. Le temps, fort beau le matin, s’était couvert à cette hauteur, comme il arrive quelquefois. Des vapeurs, d’abord presque invisibles, s’étaient formées au bas des montagnes, et, s’élevant, n’avaient pas tardé à devenir plus denses. Un brouillard épais, puis de véritables nuages nous environnèrent, masquant tout à coup à nos yeux et la cime de l’Altissimo, à laquelle nous touchions presque, et celle de la Pania et de la Corchia, qui se dressait à droite. On voyait venir l’orage du côté de la Corchia, sombre, menaçant ; c’était comme une immense nappe qui apportait l’eau dans ses plis. Enfin la nuée se déchire. « Vite, vite ! crie Antonio, courons à la caverne. » Nous y entrons, non sans avoir été fortement atteints par l’ondée. Cette caverne, délaissée l’hiver, est le refuge habituel des carriers pendant la tempête, quand ils travaillent l’été à cette hauteur ; elle est tapissée d’une mousse verte et moelleuse : une source d’eau fraîche, s’échappant goutte à goutte entre deux lits du rocher, tombe par un bec de canne dans un petit bassin creusé dans le marbre. À terre sont des sièges naturels, de grosses pierres en forme de dés. Sur le pourtour de la salle sont des inscriptions, des dates, quelques-unes fort récentes. Le W traditionnel (viva Vittorio !), le cri de ralliement patriotique à double sens, viva Verdi ! dessinés sur le marbre en lettres rouges ou gravés au ciseau, rappellent au voyageur qui franchit ces montagnes que l’unité italienne compte des partisans jusqu’en ces endroits presque inaccessibles.

Pendant que je déchiffrais toutes ces inscriptions lapidaires, l’orage avait cessé. À cette hauteur, la grêle s’était mêlée à l’eau, et sur les cimes la neige avait remplacé la pluie et les grêlons ; mais nous étions presque parvenus au terme de notre excursion : encore quelques efforts, et le sommet de l’Altissimo était atteint. Antonio