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les premiers excès sont eux-mêmes des caïmans, et si le sang coulait au milieu de ces luttes où se débattaient les destinées du pays, l’opinion publique s’employait aussitôt à calmer les haines, Tandis que dans des circonstances analogues l’Espagne offre l’exemple de sanglantes exécutions, les places de la capitale portugaise depuis 1834 n’ont point vu se dresser l’échafaud politique.

Voyez ce qui se passe dans les périodes les plus tourmentées qu’ait eu à traverser ce royaume depuis qu’il est rendu à lui-même, au lendemain de la révolution de septembre 1836 par exemple. Au milieu de ces orages, dans un faubourg de Lisbonne, s’était ouvert un club, le club des Camilles. Là se donnaient rendez-vous les élémens les plus fougueux de la capitale. José Estevao Coelho de Magalhaès, jeune député (il avait alors vingt-huit ans), qui maîtrisait la foule, faisait partie de cette réunion. Un jour il entre dans la salle au moment où l’un de ces énergumènes qui sont de tous les pays proteste, en brandissant un poignard, qu’il faut en finir avec la reine. Indigné de ce langage, le jeune tribun s’élance vers l’orateur, le saisit au collet, le précipite de son tréteau en lui jetant ces mots : « Tais-toi, misérable ! Si dans ces murs tes paroles infâmes pouvaient trouver un écho, je m’éloignerais pour toujours d’une tourbe d’assassins ! » Voilà le tribun portugais que la foule applaudissait ; mais si, dans la salle de San-Bento, où se réunissent les députés, les trembleurs essaient de légitimer leurs répressions en évoquant les fantômes de Robespierre et de Marat : « Que parle-t-on de Robespierre et de Marat en Portugal ? répond-il ; de pareils monstres ne naissent point sous notre ciel. » Voilà le député libéral et le véritable interprète des mœurs politiques de ses concitoyens. Ce caractère lisbonnais, doux et conciliant, semble avoir longtemps été méconnu par le pouvoir. De 1838 à 1851, on ne trouve que la compression à opposer à sa verve ; les révolutions l’ont rendu railleur. Une sorte de gamin de Lisbonne, le gaiato, issu de toutes ces convulsions, étouffa sous le ridicule toutes les administrations que l’influence étrangère faisait éclore à une certaine époque sans leur donner de force réelle. Rien ne peint mieux cette humeur qu’une lettre satirique écrite par l’un de ces railleurs à son compère de Porto ; il décrit le costume d’un ministère nouveau-né au moment où, dans une cérémonie grotesque, on va lui donner le baptême politique. «… Il est vêtu d’une robe de satin allemand couleur réaction, d’une ceinture de taffetas Morning Chronicle frangée de discours Brougham ; il est coiffé d’un bonnet de bulles pontificales doublé.de canons ultramontains et brodé d’une loi sur la liberté de la presse découpée en bandes étroites ; ses bas français sont du dernier goût… Voici venir la nourrice de ce jeune rejeton. C’est une dame vieille,