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aussi large que l’Europe, paraissait un problème insoluble. Les eaux qui retombent en pluie sur le continent, n’ayant pas d’issue vers la mer, s’écoulaient-elles dans un lac intérieur ? Les première navigateurs qui, sur la côte méridionale, remarquèrent cette large ouverture à laquelle on a donné le nom de Golfe-Spencer[1], crurent un moment qu’ils avaient découvert l’entrée d’une méditerranée et que le continent, impénétrable jusqu’alors, était entrecoupé par un bras de mer ; mais il fut bientôt reconnu que les rives basses et sablonneuses de cet estuaire se rejoignaient au nord en ne donnant passage qu’à quelques ruisseaux à moitié desséchés.

Il fallait donc renoncer à pénétrer au cœur de l’Australie par le moyen des cours d’eau. Les explorations devaient être terrestres. Elles furent singulièrement favorisées par le caractère particulier de la colonisation, qui est avant tout pastorale dans ce pays. La découverte d’abondantes mines d’or a peut-être un peu fait perdre de vue les richesses non moins importantes que le squatter australien se procure par l’élève des troupeaux, sans travail, mais non pas sans fatigues ni-dangers. Cette industrie exige d’immenses étendues de terrain, en premier lieu parce que les troupeaux paissent en liberté et doivent, pendant l’année entière, trouver leur nourriture sur le sol, ensuite parce que le colon ne peut s’établir que dans le voisinage des rivières et qu’il dédaigne les cantons stériles ou desséchés, préférant s’éloigner davantage des centres d’habitation et s’étendre au large loin des terrains déjà occupés. Les concessions. de terres pour la culture pastorale se mesurent par milliers d’hectares. L’overlander est le pionnier de la civilisation.[2] Ses fonctions consistent à s’aventurer dans le bush au-delà des espaces connus, avec un troupeau pour lequel il cherche un terrain bien arrosé, couvert

  1. Le capitaine Baudin, qui, dans son voyage de découvertes aux terres australes de 1800 à 1804, avait exploré la côte méridionale de la Nouvelle-Hollande, eut soin de semer des noms français sur les rivages dont il faisait la reconnaissance. Le Golfe-Spencer était alors le Golfe-Bonaparte. La riche et florissante province qui est aujourd’hui l’Australie-Méridionale avait été baptisée sous le nom de Terre-Napoléon ; mais Flinders, marin anglais, visitait ces parages a la même époque, et les dénominations qu’il a imposées ont prévalu. Sur ce sol vierge, où l’Angleterre inscrit le souvenir de ses hommes d’état en leur donnant une illustration supérieure à leurs services réels, témoins Melbourne et Sydney, on ne rencontre que de loin en loin (ne faut-il pas le regretter ?) quelques noms de navigateurs français, Freycinet, d’Entrecasteaux ; encore est-ce sur les côtes désertes que la colonisation n’a pas encore envahies.
  2. Dans cette contrée singulière, où les saisons, le climat, l’aspect physique du sol et les habitans, tout enfin diffère de ce que nous voyons en Europe, la langue elle-même subit une transformation et s’approprie à des usages nouveaux qui n’ont pas. d’équivalens pour nous. On voit ce qu’est l’overlander. Le squatter est l’industriel agricole, propriétaire du faible espace qu’il cultive autour de sa station, usufruitier seulement du rua, sur lequel vaguent ses troupeaux. Le bush, c’est le territoire inconnu, recouvert en général de buissons et d’arbustes, qui attend les explorations du bushman.