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de bonne herbe. Avec l’aide de quelques bergers, il y crée une station, surveille les troupeaux, conduit à la ville les bestiaux destinés à la consommation ; enfin il a surtout à défendre son nouvel établissement contre les rares indigènes qui occupaient le pays avant lui, et auxquels il enlève une partie de leurs moyens d’existence. Les nouveau-venus étant toujours accueillis sans jalousie, avec bienveillance même, parce qu’ils ajoutent une force nouvelle aux établissemens plus anciens, les colons n’auraient pas tardé, en se dépassant les uns les autres, à occuper les territoires indéfinis qu’ils avaient devant eux, si d’autres obstacles que les noirs ne les eussent arrêtés. À certains endroits s’offraient aux limites des stations de vrais déserts, des terres sablonneuses où le berger ne trouvait ni eau ni verdure. Quelquefois aussi, au début surtout, ce furent des chaînes de hautes montagnes qui semblaient marquer une limite infranchissable aux envahissemens des Européens. Néanmoins les troupeaux se multipliaient, et les squatters ne pouvaient, abandonnant à d’autres le soin de leurs stations, chercher eux-mêmes de nouveaux districts fertiles et bien arrosés. Ils se cotisèrent alors pour entreprendre à frais communs des voyages de découvertes dans les pays inconnus. Les explorations du territoire furent élevées à la hauteur d’un service public, rétribué en partie par le trésor colonial, en partie par les souscriptions volontaires, un peu aussi, il faut en convenir, par les sociétés savantes de la mère-patrie et par celles qui se créaient dans les récentes capitales de l’Australie. Les hommes ne manquaient pas à la tâche ardue qui s’offrait à eux. En dépit des fatigues et des périls sans nombre qui menaçaient les explorateurs, malgré les sinistres aventures qui ont arrêté brusquement plusieurs expéditions, les bushmen se présentaient toujours volontairement. Capitaines, hommes de science ou simples subalternes, tous, loin de se rebuter, tiraient une ardeur nouvelle des obstacles mêmes qui leur étaient opposés. La vie du désert, avec l’imprévu qui en est le charme et les privations qui en font le danger, semble exercer un attrait irrésistible sur ceux qui ont déjà connu cette épuisante et monotone existence. Les courses aveugles à la recherche de l’inconnu ne satisfont-elles pas un des besoins les plus généreux de la nature humaine ? Qu’on se hâte d’en jouir ! Déjà l’océan n’a plus guère de mystères à nous révéler ; nos marins ne font que revoir et explorer plus en détail ce que d’autres ont vu avant eux. C’est à l’intérieur des grands continens que s’exercent aujourd’hui la hardiesse, la vigueur et la sagacité des explorateurs modernes. Quelques générations encore, et il n’y aura plus rien à découvrir. La terre tout entière, avec des routes battues comme les allées d’un parc, pourra être passée en revue sur les cartes d’un atlas ou les photographies d’un stéréoscope.